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bienfaisance et de l’humanité ! » C’est, croyons-nous, ce que dira l’histoire impartiale et elle ajoutera sans doute que le dix-huitième siècle a élargi l’idée qu’on se faisait alors, et que certains fanatiques se font encore de la charité, puisqu’il a enseigné qu’il fallait être « bienfaisant » et doux pour tous ceux qui font partie, non d’une religion, mais simplement de l’humanité.

Qu’on ne jette donc plus l’anathème comme l’avait fait Bossuet, à ces réprouvés, à ces juifs maudits, « esclaves partout où ils sont, sans honneur et sans liberté, parce que la main de Dieu est sur eux[1] » ; ces juifs sont nos « frères » et c’est le patriarche de Ferney qui les appelle ainsi ; ces juifs, qu’on persécute parce qu’ils « ne croient pas tout ce que croient les chrétiens », osent enfin dire à ceux-ci, par la bouche de Montesquieu : « Vos anciens préjugés contre nous, prenez-y garde, ce sont vos passions ; vous nous regardez plutôt comme vos ennemis que comme les ennemis de votre religion. Il faut que nous vous avertissions d’une chose : c’est que si quelqu’un dans la postérité ose jamais dire que, dans le siècle où nous vivons, les peuples d’Europe étaient policés, on vous citera pour prouver qu’ils étaient barbares ; et l’idée qu’on aura de vous sera telle qu’elle flétrira votre siècle et portera la haine sur vos contemporains[2] ».

Supprimez, en effet, du dix-huitième siècle, cette philosophie généreuse qui a inspiré à un Montesquieu et à un Voltaire de si éloquents appels à l’humanité, que restera-t-il alors de l’histoire littéraire de cette époque, sinon des écrits, et nous savons lesquels, qu’on pourra citer pour prouver, en effet, que ces temps étaient barbares et pour démontrer, comme dit encore Montesquieu, « qu’on laissait corrompre la religion par une grossière ignorance ? »

On sait de quoi était faite cette humanité qui respirait alors dans tous les écrits : « de compassion, dit Condorcet,

  1. Bossuet : Disc. sur l’Hist. univers., p. II, ch. xx.
  2. Esprit des Lois, l. XXV, ch. xiii.