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Les philosophes n’ont pas été plus patriotes qu’on ne l’était généralement et, nous pouvons maintenant ajouter : qu’on ne pouvait l’être de leur temps. Ils surent du moins, par leurs ouvrages, illustrer et faire aimer leur pays ; et tandis que les généraux du roi se montraient souvent incapables ou frivoles sur les champs de bataille, eux seuls conservèrent à la France le prestige et la gloire dont elle jouit jusqu’à la fin du siècle dans l’Europe entière. L’Encyclopédie fut un de ces ouvrages qui nous firent au dehors le plus d’honneur et Rivarol pouvait dire d’elle dans son Universalité de la langue française : « L’éclat de cette entreprise rejaillit sur la nation et couvrit le malheur de nos armes. »

C’est, croyons-nous, en tenant compte de tous ces faits qu’il convient d’apprécier l’idée d’humanité et l’extension que les philosophes espéraient lui donner. Cette conquête du monde civilisé que Rome jadis avait faite par la guerre et le brigandage (grande latrocinium), que plus tard le moyen âge avait réalisée par l’unité de la foi et par la persécution, les philosophes rêvaient à leur tour de la fonder pacifiquement sur la science et sur l’humanité. Fiers de voir se former en Europe, et grâce à eux, « une République immense d’esprits cultivés », suivant l’expression de Voltaire, ils voulaient qu’on arrivât à dire le monde français, comme on avait dit le monde romain, puis le monde chrétien. Ils restaient fidèles en cela à cet esprit de propagande généreuse qui avait fait notre honneur à travers l’histoire : de même que les Francs avaient été les soldats de Dieu et que les descendants des Francs avaient été les missionnaires de la chevalerie, ils voulaient être et ils furent les soldats de la philosophie en Europe et ils entreprirent à leur tour, au nom de la raison, une vraie croisade qui, plus heureuse que bien d’autres, devait aboutir à la plus solide et à la plus noble des conquêtes : la déclaration des droits de l’homme et le triomphe progressif, dans le monde entier, de ce qu’on a appelé les principes de 89. Comparant son époque au moyen âge, Diderot s’écriait : « On dit : le siècle de la chevalerie. Ah ! si l’on pouvait dire : le siècle de la