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mais ce qui, dans bien des cas particuliers, est loin de sauter aux yeux : or il n’y a, dans la pratique, que des faits particuliers. Les philosophes ont bien vu qu’il est plus facile d’affirmer que de prouver et surtout, ce qui est pourtant l’essentiel ici, que de persuader la parfaite coïncidence de l’intérêt personnel avec l’intérêt général ; et, reconnaissant qu’il y avait, de leur temps surtout, entre ces deux intérêts, des conflits trop évidents, ils en ont rendu responsable la société et par conséquent (qu’on se rappelle les idées politiques de l’Encyclopédie), le Législateur lui-même, qui a façonné la société à son gré. C’est donc au Législateur, suivant l’expression d’Helvétius, « à lier adroitement par une meilleure constitution de la société l’intérêt particulier à l’intérêt public », à inventer des lois qui nécessitent la vertu, à faire dépendre, en un mot, du bien public le bonheur de chaque individu.

Ce qu’a très bien compris Helvétius, malgré toutes ses exagérations, c’est que la morale est, avant tout, et dans une société qui a cessé de croire, une discipline essentiellement sociale ; car il faut, d’une part, arriver peu à peu, par une meilleure organisation de la société, à ce que l’homme travaille pour tous, alors qu’il pense ne travailler que pour lui seul ; et il faut, d’autre part, même quand l’intérêt général ne se confond pas à ses yeux avec l’intérêt individuel, il faut, dis-je, avoir appris à l’homme à sacrifier encore le second au premier, parce que, sans qu’il s’en rende compte, cela vaut mieux, même pour lui ; il faut enfin l’avoir élevé de telle manière qu’il ne puisse pas sans remords se refuser à ce sacrifice ; ce sacrifice, il le fera sans hésiter et, pour ainsi dire de confiance, si on a su, par une éducation bien conduite et par de bons et nobles exemples, implanter dans son âme ce quelque chose qui est, en définitive, le fond dernier de toute morale, quelle qu’elle soit, le généreux préjugé du dévoûment, c’est-à-dire, de la vertu.