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qu’il a vécu comme il conseillait de vivre à ceux qui professaient sa philosophie : « D’autant plus scrupuleux observateur de ses devoirs que ses sentiments étaient suspects aux autres hommes ; ses mœurs n’ont point calomnié, mais plutôt défendu son système[1] ».

Quels peuvent être maintenant les principes moraux d’un homme qui, comme d’Holbach ou Diderot, ne croit pas en Dieu ou qui, comme d’autres Encyclopédistes, sans nier Dieu, cherche, en dehors de lui et de ses commandements, les règles de sa conduite ? Déjà Montesquieu avait dit dans ses Lettres persanes : « S’il n’y avait point de Dieu, libres que nous serions du joug de la religion, nous ne devrions pas l’être de celui de l’équité ». Mais d’où vient l’équité et qui nous en imposera le joug ? Grave problème et dont les philosophes ont donné deux solutions très différentes, suivant qu’ils l’ont abordé par l’une ou l’autre des deux méthodes entre lesquelles nous les avons vus si souvent osciller : la méthode purement rationnelle et la méthode expérimentale. Voyons d’abord ce que leur a suggéré la première.

Comme ils étaient convaincus que la raison est la même chez les hommes de tous les temps et de tous les pays, du moins quant aux idées fondamentales, les philosophes ont trouvé que certaines de ces idées, en interrogeant leur raison à eux, étaient les idées de justice et de liberté et ils en ont conclu que ces idées sont éternelles et qu’il n’y a rien de plus naturel au monde que les principes du droit et de son corrélatif, le devoir. L’expérience leur eût vite démontré le contraire : ces peuples, étrangers ou sauvages, qu’ils aimaient tant à citer, leur auraient révélé, s’ils les avaient mieux connus, des mœurs peu conciliables avec leur doctrine des devoirs innés, les mêmes chez tous.

Au reste, ces fameuses lois non écrites, les philosophes sont loin de les avoir inventées, puisque, si elles ne sont pas éternelles, elles sont, tout au moins, aussi anciennes

  1. L’analyse la plus impartiale du Système de la Nature, de d’Holbach, est dans l’Histoire du matérialisme, de Lange, I, 377.