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doute à la formuler, (c’est ce qu’avait fait Bayle), mais à la soutenir dogmatiquement et à la vulgariser, voilà un des faits qui montrent le mieux combien ont été lentes les démarches de la libre pensée ; c’est que celle-ci n’était pas seulement entravée par la grossière intolérance des croyants, mais aussi par les contradictions et les réticences des incrédules, dont les uns ne savaient pas et dont les autres n’osaient pas aller jusqu’au bout de leur incrédulité. Pour la plupart des gens du dix-huitième siècle, un athée était à peu de chose près un scélérat : « Il est regardé, dit d’Holbach, comme un être malfaisant et un empoisonneur public », et il cite Abbadie montrant le fils athée prêt « à assassiner son père pour jouir de sa succession, dès qu’il en trouvera l’occasion[1] ». D’Holbach dut garder l’anonyme, non-seulement pour échapper à la Bastille, mais encore pour conserver ses amis qui, presque tous, ignoraient ses forfaits littéraires. Treize ans encore après la publication de son principal ouvrage, Mercier, qui est plutôt favorable aux Encyclopédistes, écrit dans les Tableaux de Paris : « On me demande partout le nom de l’auteur du Système de la nature comme si je le connaissais. Il s’est caché dans d’épaisses ténèbres, cet auteur violent : que son nom meure à jamais dans l’obscurité ! » Maudit sans être connu, par les croyants qu’il scandalisait, et par les philosophes qu’il compromettait, invectivé par le déiste Voltaire qui ne voyait dans son Système qu’une « profonde fadaise », malmené par Grimm, qui dénonçait à l’aristocratique dédain de ses correspondants les « capucinades de vertu » de cet athée aussi incivil à l’égard des puissants qu’à l’égard de Dieu, d’Holbach continue tranquillement, sous divers pseudonymes, et parfois avec la plume de son plus intime confident, Diderot, à la fois ses déclamations furieuses contre les prêtres et les rois et ses imperturbables démonstrations d’une morale irréligieuse, mais « humaine ».

Il reprend et renvoie au christianisme l’accusation sécu-

  1. Abbadie : De la vérité de la religion chrétienne, t. I, ch. 18.