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Nous n’apprendrions rien à personne si nous racontions, après tant d’autres, et à l’encontre des théories du dix-huitième siècle, les origines vraisemblables de toute religion. Mais ce qu’il est curieux de relever, en une matière où les philosophes invoquaient la raison seule, c’est que leurs explications n’étaient pas même très raisonnables ; il est absurde, en effet, de dire que les prêtres ont inventé la religion, alors qu’il ne peut y avoir de prêtres sans des croyances préexistantes et des croyants déjà nombreux. De même, il n’est pas admissible que ces premiers croyants n’aient été persuadés que par des impostures, car, dans ce cas, tous les peuples anciens auraient été imbéciles, puisque tous sans exception ont été religieux : et que deviendrait dès lors cette raison naturelle dont les philosophes eux-mêmes n’ont que trop gratifié l’humanité à tous les âges et dans tous les pays ?

En réalité, s’ils n’avaient pas été aveuglés par la prévention et par une espèce de fanatisme à rebours, les philosophes auraient aisément retrouvé dans toute religion deux de leurs principes les plus chers : la nature et la raison. À première vue, en effet, qu’est-ce qui reflète le mieux le génie naturel de chaque peuple si ce n’est la religion, élégante et gaie chez les Grecs, formaliste et minutieuse chez les Romains, sanglante chez les Mexicains et ainsi de toutes les autres. Que si, en outre, tous les peuples anciens ont été religieux, n’en faut-il pas conclure que la religion est naturelle à l’homme primitif, c’est-à-dire précisément à ce que les philosophes appelaient l’homme de la nature, et c’est dans ce sens, mais aussi dans ce sens seul, qu’il y a une « religion naturelle » : ce que Calvin appelait theologia naturalis innata.

D’autre part, les premières croyances n’ont-elles pas été comme le premier éveil de la raison, laquelle s’expliquait à elle-même, et comme elle pouvait, les phénomènes de l’univers ? Et enfin, pourrait-on ajouter, cet intérêt même, auquel les philosophes ont ramené tant de choses, ne l’auraient-ils pas, avec un peu d’attention, surpris à l’aurore même des reli-