dites-vous. Mais que ferez-vous si nous disons tous non quand vous direz oui ? Vous ne régnez sur nous qu’en réunissant nos volontés aux vôtres[1]. » L’incontestable erreur des Encyclopédistes a été, non de supposer un contrat, soit comme point de départ, soit même comme fondement de toute société, mais de présenter trop souvent ce contrat comme l’œuvre réfléchie d’hommes aussi raisonnables, ou, si l’on aime mieux, aussi raisonneurs qu’eux-mêmes. On reconnaît ici un de leurs plus ordinaires préjugés, et ces préjugés, pour être philosophiques, ne leur cachaient pas moins la vérité : ils ne parvenaient pas à comprendre l’intelligence des premiers hommes autrement qu’éclairée de toutes les « lumières » du dix-huitième siècle, et eux qui se moquaient, après Locke, de cet enfant qui, suivant les cartésiens, au sortir du ventre de sa mère avait déjà des idées innées, ils imaginaient un homme qui, sortant du sein de la nature, avait toutes les idées de l’Encyclopédie.
Mais la raison, sinon des premiers hommes, du moins des hommes du dix-huitième siècle, avait peut-être le droit, et cela seul en définitive importait à ces derniers, de juger la société et le gouvernement actuels, de les comparer l’un et l’autre à son idéal de justice et de liberté et, les trouvant l’un et l’autre infiniment éloignés de cet idéal, de demander qu’on introduisît plus de liberté dans le gouvernement et qu’on fît régner plus de justice dans la société. L’erreur commise ici par les Encyclopédistes est donc une erreur de date : ce n’est pas dans le plus lointain passé, alors que la raison sommeillait encore dans ces esprits primitifs, tatoués, pour ainsi dire, d’images grossières et de sauvages superstitions, c’est dans les sociétés civilisées, et à mesure qu’elles se civilisent davantage, que cette même raison, devenue adulte, acquiert de plus en plus le droit de juger les hommes et les rapports qu’ils ont entre eux. Prétendra-t-on, en effet, que des citoyens doivent éternellement subir
- ↑ Mirabeau : Lettres de cachet.