des sociétés. Les premiers hommes, enseigne l’Encyclopédie, vivaient à l’état de nature, c’est-à-dire sans chefs, sans police et sans lois, toutes choses dont ils n’avaient pas besoin : car, étant parfaitement innocents, ils étaient aussi parfaitement heureux. Pourtant, à la longue, les plus forts ayant abusé de leurs avantages contre les plus faibles et tous d’ailleurs devant se défendre contre les mêmes dangers : attaques des bêtes fauves, cataclysmes de la nature, les hommes comprirent, les plus faibles surtout, qu’ils avaient intérêt à s’unir, et c’est ce qu’ils firent en un contrat qui les liait les uns aux autres par des obligations mutuelles : leur intérêt commun répondait de leur fidélité au contrat. C’est ainsi qu’ils fondèrent une société.
Trois idées se dégagent de cette doctrine qui fut, avec de légères variantes, commune aux publicistes du dix-huitième siècle : un état de nature antérieur à toute société ; la société fondée sur un contrat ; l’intérêt conseillant l’union, puis, une fois les hommes unis, assurant l’exécution du contrat. Examinons à la fois quel fut, pour le dix-huitième siècle, le sens exact et quelle est, pour tous les temps, la valeur de ces trois idées.
Tout d’abord l’état de nature, tel que l’a dépeint l’Encyclopédie, est une pure chimère : de tous temps, l’homme n’a été ni ange ni bête mais, à l’origine, ce n’est à coup sûr pas de l’ange qu’il se rapprochait le plus. S’inspirant des poètes antiques qui avaient chanté les délices de l’âge d’or, les Encyclopédistes exaltent à l’envi ces temps heureux où les premiers hommes vivaient, candides et pacifiques, dans de riantes campagnes, sans autres liens entre eux que ceux d’une fidèle amitié. À ce tableau idyllique les sociologues modernes opposent la peinture, plus vraisemblable, de sauvages à la fois tremblants et féroces, qui rampent plus qu’ils ne marchent dans les bois : ils y sont occupés jour et nuit à défendre leur nourriture contre des ennemis de toutes sortes, à commencer par leurs semblables qu’ils tuent et dévorent, à moins qu’ils ne les réduisent en domesticité comme ils font le cheval ou le