tale, et le chimiste d’Holbach dira expressément, dans cette seconde moitié du siècle philosophique : « La faculté que nous avons de faire des expériences, de nous les rappeler, de pressentir les effets, constitue ce qu’on désigne sous le mot de raison. Sans expérience, il n’est point de raison[1]. » Or rien n’est plus éloigné de cette raison-là que la raison cartésienne et, quand ils appliquent la première, c’est du Novum organum, beaucoup plus que du Discours de la méthode, que s’inspirent les Encyclopédistes.
C’est cette raison expérimentale et, si l’on peut dire, baconienne, qui a interrogé la nature et fait les heureuses découvertes que nous avons montrées tout à l’heure. Mais nous n’avons guère parlé jusqu’ici que de la nature physique : comment les Encyclopédistes vont-ils maintenant étudier la nature morale ? De la même manière, semble-t-il, puisque la science est une, et c’est ce que proclamera Condorcet dans son discours de réception à l’Académie française : « En méditant sur les sciences morales, on ne peut s’empêcher de voir qu’appuyées, comme les sciences physiques, sur l’observation des faits, elles doivent suivre la même méthode. » Déjà, à propos de la nature au sens où l’entendait le dix-huitième siècle, nous avons été amenés à montrer comment Voltaire avait rattaché l’histoire de l’humanité à l’histoire naturelle et appliqué à l’une la méthode de l’autre. Pourtant, dans le domaine des sciences morales, les Encyclopédistes ne sont pas toujours restés fidèles à l’expérimentation tant prônée par eux. C’est ce que nous allons constater en recherchant ce qu’ils ont dit de neuf sur ces trois questions capitales qu’ils ont étudiées avec une prédilection marquée et discutées avec une liberté toute philosophique : quelles sont les origines de la société, de la religion et de la morale naturelle ?
Et d’abord, comment, sur notre planète, sont nées les sociétés humaines ? À cette question, les Encyclopédistes ont
- ↑ Syst. de la Nature, I, 142. Et, de même, Buffon : « C’est par des expériences… raisonnées, qu’on force la nature à découvrir son secret. » Préface de sa traduction de Hales : Statique des végétaux.