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si souvent Voltaire lui-même, et parfois avec une regrettable étroitesse de vue, des récits fabuleux ou des faits absurdes ; il s’agit d’écrire une histoire naturelle de l’humanité en appliquant à cette histoire la méthode même des sciences physiques. « Nous ne considérons ici que des causes secondes », répétera sans cesse Voltaire dans son Dictionnaire philosophique : ces causes secondes sont les sentiments et les opinions des hommes, plus particulièrement leurs passions naturelles, et c’est surtout celles-ci qui, combattues ou servies par les forces de la nature extérieure, déterminent le cours de l’histoire : « que si la race humaine d’après le Déluge, fut plus méchante que la première et si elle devient plus criminelle de siècle en siècle, c’est encore là un effet de cette Providence ; mais nous n’entrons pas dans ces sanctuaires redoutables ; nous n’examinons ici que la simple nature[1]. » Or celle-ci, de l’homme à l’animal, diffère, non d’essence, mais de degré, car les animaux, dira Condorcet, sentent, raisonnent grossièrement et vivent en société ; c’est pourquoi on peut, continuera le même philosophe, expliquer les progrès de l’espèce humaine sans avoir besoin de recourir à une différence essentielle entre elle et les animaux. Buffon n’avait-il pas déclaré, au début de son histoire naturelle, que « l’homme doit se ranger lui-même dans la classe des animaux », et, bien avant Buffon, Condorcet et Voltaire, l’auteur de l’Esprit des lois, par sa théorie des climats, n’avait-il pas fait entrer dans la science politique le déterminisme des sciences naturelles ? car que veut-il dire, dans sa fameuse définition : « Les lois sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses », sinon que les lois ne sont pas des inventions arbitraires, mais bien les effets de causes naturelles, telles que « la constitution de notre être », le climat, la religion, ou, plus exactement, les rapports mêmes de toutes ces choses entre elles ? Ainsi les lois des hommes, leur histoire, leur origine même, s’expliquent par des causes naturelles, tout aussi bien que l’origine, les mœurs et les sociétés des ani-

  1. Diction philosophique : art. Changements arrivés dans le globe.