et l’on ne fait une société qu’avec des hommes : quels hommes ont donc voulu former les philosophes ?
L’homme, disait l’Église, ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui vient de Dieu ; de ces deux choses, la vie matérielle et la vie morale de l’homme, il est à peine besoin de rappeler que les Encyclopédistes se sont efforcés d’améliorer et d’embellir la première, chacun d’eux plaçant le bonheur, non pas dans le ciel, mais là où le voyait Voltaire :
S’il est vrai que « l’église parfaite, c’est le couvent », et que le vrai chrétien « est le moine[1] », l’idéal des philosophes est tout l’opposé et Vauvenargues le proclamera avec une délicate hardiesse dans ses Conseils à un jeune homme : « Si vous avez quelque passion qui élève vos sentiments, qu’elle vous soit chère ! » Et il montre que, bien conduites, les passions naturelles à l’homme peuvent être autant de « vertus. » Après avoir réhabilité l’homme naturel, les Encyclopédistes ont voulu donner à tout homme plus de bien-être que ne leur en assurait l’ancien ordre de choses et nous les avons vus dans l’Encyclopédie exposer et défendre éloquemment les droits de tous à plus de sécurité et à plus de bonheur ici-bas. Remarquons, du reste, que le progrès même des arts et de l’industrie au dix-huitième siècle semblait justifier, en le favorisant, ce désir du bien-être que les philosophes opposaient à l’ascétisme religieux ; aussi, ce n’étaient plus seulement les gens du monde, c’étaient, et en grand nombre, des ecclésiastiques eux-mêmes qui devenaient, pour ainsi dire, les auxiliaires des Encyclopédistes en vivant, non comme le prescrivait la Bible, mais comme le recommandait le Mondain ; et la philosophie utilitaire bénéficiait de cette éclatante contradiction entre les mœurs et les croyances du temps.
Qu’a fait maintenant le siècle des philosophes pour la
- ↑ Renan : Marc-Aurèle, 627.