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Moïse avait fait passer au fil de l’épée quarante-sept mille Israélites et ils se demandaient si, après un tel massacre, Moïse avait bien le droit de déclarer « qu’il était le plus doux des hommes ». Assurément, répondait sans hésiter le même savant Bergier, « puisque Dieu lui avait ordonné de les punir. »

Et enfin les philosophes avaient cru que, dans ce siècle, où la raison avait fait tant de progrès, où l’humanité et, par conséquent, la tolérance avait élargi tant d’esprits et attendri tant de cœurs, ils avaient cru, dis-je, qu’en 1767 (la date est à retenir), il était permis d’imprimer des propositions aussi raisonnables que celle-ci : « La vérité luit de sa propre lumière et on n’éclaire pas les esprits avec les flammes des bûchers[1] ». Mais de quoi s’était avisé là Marmontel ? Le 21 janvier 1768, l’archevêque de Paris faisait lire aux prônes dans toutes les paroisses et placarder à tous les coins de Paris et jusque sur les portes de l’Académie française, le coupable étant académicien, un grand mandement doctrinal dans lequel il prenait soin d’attiser ces précieux bûchers qui, s’ils ne brûlaient plus les auteurs, rendaient, du moins, à l’Église, le service de brûler les livres. « Il y a, (avait dit M. de Beaumont à l’auteur de Bélisaire, quelque temps avant de lancer contre lui son mandement), il y a un article sur lequel j’exige de vous une rétractation authentique et formelle : c’est celui de la tolérance[2]. »

À l’égard des dissidents, en effet, et, en particulier, à l’égard des réformés, l’Église du dix-huitième siècle professait hautement la même intolérance qui avait inspiré jadis à Bossuet son chant de triomphe, à propos de la révocation de l’Édit de Nantes, et lui avait dicté cette phrase cruelle d’une lettre à Nicole : « J’adore avec vous les desseins de Dieu qui a voulu révéler, par la dispersion

  1. Marmontel : Bélisaire, chap. XV. Voir l’Hist. de la lib. de consc. en France, par Bonet-Mauri, Alcan, 1900, p. 73.
  2. Christophe de Beaumont, par le P. Émile Begnault, Lecoffre, 1882, I, 158.