et de vivre, nous sommes abondamment renseignés par les contemporains : par les sermonnaires, d’abord, qui les ont combattus ; par Bayle qui, sous couleur de les réfuter, a soigneusement reproduit, en les renforçant, toutes leurs attaques contre la religion ; enfin et surtout par cet imprudent père Garasse, un fort en gueule qui, pour mieux les ridiculiser et les insulter, a naïvement divulgué et propagé leurs hérésies et leurs blasphèmes[1].
Pour ce qui est de leurs mœurs, admettons, si l’on veut, avec leur insulteur, qu’ils fussent, pour la plupart, « de la confrérie des bouteilles », étant « éclos dans Paris comme les moucherons durant vendanges autour des cuves. » Mais, même s’ils étaient tels qu’on nous les a dépeints, vaudraient-ils beaucoup moins que la foule de ces courtisans hypocrites qui n’étaient dévots que parce que le roi d’alors était dévot ou qui encore, suivant l’auteur des Lettres persanes, étaient si pieux d’allures qu’ils étaient à peine chrétiens de cœur.
Et puis, tout en ayant tort assurément de trop philosopher la coupe en mains, comme Socrate dans le Banquet, était-ce absolument leur faute si, au dix-septième siècle, on ne pouvait être irréligieux sans être, du même coup, immoral ou, tout au moins, réputé tel ? On avait si imprudemment fait dépendre la morale de la religion, et de la religion seule, que, repousser la religion, c’était forcément renoncer à la morale, laquelle devait être religieuse ou ne pas être. « Il n’y a de morale, avait dit Bossuet, que celle qui est fondée sur les mystères[2]. » Dès lors, les mystères étant mis en doute, la morale n’avait plus de fondement et, comme on ne connaissait que cette morale essentiellement religieuse, on tombait fatalement de l’irréligion dans l’immoralité. Inversement, puisque transgresser la morale établie,