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ses torrents de lumière sur la foule grandissante des incrédules : on affichait contre les murs de Paris les mandements où les archevêques fulminaient contre les livres dangereux et défendaient de manger en carême des œufs ou du poisson et on se disputait dans les rues les livres anathématisés et « sur toutes les tables paraissaient en abondance, aux approches de Pâques, des brochets, des truites et jusqu’à des poules d’eau[1] ». Les estomacs eux-mêmes devenaient de moins en moins catholiques, ce qui est plus grave qu’on ne pense chez un peuple qui est plus attaché aux pratiques qu’aux vérités de sa religion. Il fallait donc, si l’on voulait réduire à tout prix l’impiété, opposer aux livres des philosophes, des livres meilleurs, plus vrais et plus convaincants à la fois : il fallait, d’une part, convaincre d’erreur les prétendus savants de l’Encyclopédie et, d’autre part, répondre aux plaisanteries contre la religion et contre les prêtres par des plaisanteries tout aussi piquantes contre la philosophie et les philosophes : c’est à quoi vont s’employer, de tout leur courage, les savants et les pamphlétaires du parti religieux.


Il s’agit, avant tout, de défendre la Bible contre les multiples attaques dont elle est l’objet et c’est autour de cette arche sainte que viennent se ranger tous les modernes lévites, théologiens et controversistes, comme c’est autour de l’Encyclopédie, ce livre du siècle, que se sont groupés

  1. Mercier : Tableau de Paris, v, 88. Et ailleurs : « Les boucheries sont ouvertes en plein carême ; où est le temps où l’on était obligé, lorsqu’on voulait envoyer un bouillon à un malade, de le cacher dans une boîte à perruque ? » (Ibid., 220). Dans sa jeunesse, Mercier avait vu arrêter le dîner du prince de Condé, qu’on lui portait à son hôtel de la rue Mazarine ; des estafiers avaient saisi le potage et les poulardes de Son Altesse.

    L’Ami des hommes rappelant le vers de Boileau :

    J’y cours, midi sonnant, au sortir de la messe,


    ajoute : « En ce temps un homme sans religion ne pouvait être qu’un coquin. Aujourd’hui (1756), on ne pratique plus guère ; or, toute religion réduite au pur spirituel est bientôt reléguée dans l’empire de la lune. »