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sion des mauvais livres, l’Église ne s’était-elle pas, à son tour, affaiblie et compromise à plaisir par ses querelles intestines, comme si elle s’était appliquée à mieux assurer le triomphe de ses adversaires ? Sans doute, dans la guerre à l’incrédulité, c’était à qui, des Jansénistes ou des Jésuites, donnerait les preuves les plus éclatantes de son zèle à venger Dieu : mais les efforts désunis de ces deux grands partis, plus acharnés, au fond, l’un contre l’autre, que contre l’ennemi commun, pouvaient-ils avoir raison de la philosophie et arrêter ses effrayants progrès ?

Aux plaintes de l’Assemblée du clergé de 1758 le roi avait répondu en vrai fils aîné de l’Église : le clergé pouvait être sûr qu’en s’efforçant « de remédier au mal pernicieux causé par la licence de penser et d’écrire, il entrerait dans les vues du roi et trouverait dans sa protection tout l’appui dont il aurait besoin[1] ». D’aussi vagues assurances de protection contre les mauvais livres en général n’auraient pas fait grand mal à l’Encyclopédie en particulier, si le Parlement, à son tour, n’était parti en guerre contre celle-ci : quelques mois après cette démarche officielle du clergé auprès du roi, l’avocat-général, Omer Joly de Fleury, prononça contre le grand Dictionnaire un fulminant réquisitoire : ce factum, ridiculement ampoulé, fit pleuvoir sur sa chétive et disgracieuse personne une telle grêle de plaisanteries et d’épigrammes parties de Ferney, que désormais le nom seul de maître Omer suffit à mettre en gaîté les lecteurs de la Correspondance de Voltaire[2]. Son attaque contre l’Encyclopédie n’était d’ailleurs point maladroite, si elle n’était pas très honnête : de même qu’on avait, au début même de l’entre-

  1. Bibl. de l’Arsenal : Procès-verbal de l’Assemblée générale du Clergé de France de 1758.
  2. « Quand on le lit, ce n’est pas Homère ; quand on le voit, il n’est pas joli et, quand il parle, il n’est pas fleuri. » Ailleurs Voltaire lui consacre ce vers :

    Un pédant sec à face de Thersite.

    (La Pucelle, chant XVI).

    Les passages où Voltaire a daubé « maître Omer » sont d’ailleurs innombrables.