Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/245

Cette page a été validée par deux contributeurs.

distance qui sépare la terre du ciel. Cette même raison, qui n’était bonne, tout au plus, aux yeux des théologiens, qu’à préparer la simple connaissance des dogmes, d’ailleurs irrationnels, pour les philosophes, au contraire, devait expliquer toutes les énigmes. Ceux-ci restés, en un sens, catholiques dans l’âme, croyaient à la toute-puissance de la raison, ainsi que leurs adversaires à celle de leur Dieu et, tout comme ils avaient eu un credo politique, aussi vague parfois, mais par cela même aussi indestructible que leurs aspirations vers une société idéale fondée sur la raison, ils avaient, de même, un credo philosophique, dont la raison encore, et la raison seule, dictait le premier et le dernier commandement ; ils dressèrent ainsi autel contre autel, car leur déesse Raison était aussi exclusive et jalouse que le Jéhovah de la Bible.

Ce fut dès lors comme une guerre de religion qui éclata entre les deux partis avec son ordinaire accompagnement d’invectives, de calomnies et de dénonciations mutuelles ; et ce qui exaspéra et prolongea la lutte, ce fut la sincérité même des combattants. Sans doute il y eut des hypocrites dans les deux partis ; sans doute aussi l’intérêt personnel intervint, comme toujours, pour fortifier la foi de chacun ; il est certain, par exemple, qu’il vint un moment, vers 1760, où, les philosophes étant devenus les maîtres incontestés de l’opinion, il fut très utile d’être de l’Encyclopédie ; cependant, ne l’oublions pas, il était toujours lucratif d’être du clergé. Ainsi, l’on pouvait bien, grâce à l’Encyclopédie, se faire un nom et entrer à l’Académie : mais ce n’est pas chez eux qu’on devenait archevêque ; or, pour le dire en passant, s’il y avait encore, au dix-huitième siècle, de ces « évêchés crottés », comme l’évêché de Grasse, qui ne valaient que cinq mille francs, il y en avait aussi d’autres, et en très grand nombre, qui étaient d’un plus beau revenu : par exemple, l’archevêque de Paris avait six cent mille livres de rentes[1].

  1. Sicard : L’ancien clergé de France. Lecoffre, 1893, p. 111.