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mesquine la pension que Frédéric payait à d’Alembert et très impertinentes les avances que Catherine faisait aux beaux esprits de son royaume tels que Diderot, mais il ne s’avisait pas de lutter de générosité avec Frédéric ni d’amabilité avec Catherine. Quant aux lois prohibitives et aux mesures, parfaitement vexatoires du reste, par lesquelles il entravait la libre expression et la propagande des doctrines philosophiques, il faut convenir qu’elles n’étaient dans ses mains que des armes défensives et, après tout, légitimes : car ce serait commettre un singulier anachronisme que d’invoquer contre lui une liberté de presse, dont les philosophes eux-mêmes n’avaient pas l’idée, bien plus, dont ils n’auraient peut-être pas voulu, même si on eût songé à la leur offrir. Étant données les idées du temps, les traditions gouvernementales en matière de presse et la façon enfin dont chaque parti entendait la polémique, le gouvernement ne pouvait rester neutre dans les querelles littéraires ; il devait prendre parti pour ou contre les philosophes ; quand, à tort ou à raison, il se crut atteint par eux, il se défendit ; il fit ce que faisaient chez eux les rois philosophes eux-mêmes, lesquels tenaient plus à leur couronne qu’à leur philosophie ; il fit ce qu’ont fait de tout temps, « tous les rois, excepté les imbéciles », suivant le mot de Mirabeau : « Ils ont tous défendu leurs prérogatives[1]. »

Maintenant Louis XV n’eût-il pas mieux fait, j’entends dans son propre intérêt, de protéger les philosophes ? C’est là une tout autre question et à laquelle nous avons déjà très nettement répondu pour notre compte. Ce que nous voulons dire seulement ici, c’est, qu’en définitive, les philosophes n’avaient pas trop le droit de s’étonner et de se plaindre qu’on exerçât sur leurs doctrines, bien ou mal comprises d’ailleurs, la surveillance et même la tyrannie qu’ils n’auraient pas manqué d’exercer sur leurs adversaires, s’ils avaient été les maîtres.

En dehors du roi, il y avait, à la Cour, un petit cercle qui

  1. Mirabeau : Des Lettres de cachet et des prisons d’État. Préface, VI.