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pas, ce semble, entre les cieux, d’autre distance que de la parole à l’écriture.

Ils imaginèrent encore une autre malice ou, comme dirait leur apologiste Condorcet, une nouvelle manière de « caresser les préjugés avec adresse pour leur porter des coups plus certains. » Le préjugé est caressé à l’article spécial qui lui est consacré ; mais on termine cet article en renvoyant à un autre qui détruira l’effet du premier. Le renvoi, c’est la flèche du Parthe de l’Encyclopédie. Les Cordeliers, à l’article qui leur est consacré, sont portés aux nues : c’est un ordre « très utile à la société, et qui se distingue par son savoir, ses mœurs et sa réputation ». L’article se termine par ces mots : voyez Capuchon. Capuchon nous apprend qu’il s’éleva jadis entre les disciples de Scot, ou Cordeliers, une dispute célèbre pour décider si leur capuchon serait étroit ou large ; eh bien ! leur doctrine tout entière, « le scotisme n’est pas plus sérieux ».

C’est par de telles voies détournées que les Encyclopédistes avaient attaqué l’Église et, comme aurait dit leur maître Montaigne, « d’autant plus piquamment que plus obliquement. » Ne l’oublions pas, du reste, la responsabilité première de cette misérable tactique doit retomber sur ceux qui, à force d’opprimer les consciences et d’empêcher la libre expression de la vérité, avaient presque légitimé le mensonge : car tout esprit novateur avait été mis par eux dans l’alternative ou de se taire ou de déguiser sa pensée[1]. « Il y a des Troyens, disait Voltaire, qui forcent quelquefois les Grecs à jouer le rôle de Sinon. » Puisque les dogmes sont sacrés et protégés, au besoin, par les archers du roi, eh bien ! l’on s’inclinera respectueusement et bien bas devant l’Église, sauf à la miner sournoisement par les seules armes permises, la naïveté feinte et les louanges, perfides à force

  1. Servan écrivait, de Genève, à d’Alembert : « Quelle folie, dans le temps où nous sommes, de se mettre à découvert sur un côté aussi délicat que celui de la religion ! Il faudrait, comme le disait l’autre soir M. de Voltaire, avoir 50 000 hommes pour soutenir chaque volume. »