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Que ces réclamations de la bourgeoisie soient légitimes, c’est-à-dire, que les privilèges des nobles soient inadmissibles pour la raison, c’est ce qu’il leur est facile d’établir, rien qu’en rappelant, par exemple, que les nobles ne vont pas tous à la guerre, tandis que les roturiers peuplent la milice. Et, d’ailleurs, les nobles qui à l’armée « ont bien mérité de la Patrie, doivent être récompensés par des honneurs, non par des privilèges[1] ». Ainsi, désavouées par la raison, les inégalités sociales deviennent des iniquités, et d’autant plus choquantes, que les lumières, répandues par l’Encyclopédie, en éclairant les esprits, les rendent plus fiers, plus jaloux de ce qu’ils commencent à appeler leurs droits. « Vers 1750, dit Tocqueville, la nation souhaitait des réformes plus que des droits. » Grâce aux Encyclopédistes, ces réformes apparaissent de plus en plus comme des droits véritables que la philosophie enseigne à réclamer au nom de la raison et de l’équité. Tandis que les châteaux hérissaient encore nos provinces et que les gentilshommes joignaient leurs impôts particuliers à ceux du monarque pour achever de ruiner le paysan ou encore le faisaient pendre par leurs tribunaux d’exception, les Encyclopédistes s’insurgeaient contre ces prérogatives surannées, montraient combien elles juraient avec les mérites réels des privilégiés, et, au nom du droit naturel, antérieur et supérieur à l’arbitraire des législations humaines, ils revendiquaient pour tous les citoyens l’égalité devant l’impôt et devant la justice.

En même temps que l’abolition des plus odieux, tout au moins, parmi les anciens privilèges, ils réclamaient cette seconde réforme à laquelle le pays aspirait ardemment : l’admission de tous aux carrières publiques. Car, si les hobereaux tyrannisaient encore les provinces, l’autre partie de la noblesse et de beaucoup la plus considérable, celle qui entourait le trône, accaparait toutes les dignités de l’État et commandait, à elle seule, nos flottes et nos armées.

  1. Encyclopédie : art. Économie politique.