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de la Révolution, en 1787, paraissait à des esprits clairvoyants, tels que Sénac de Meilhan, « assise sur des bases inébranlables » ; le peuple, en effet, et malgré un Louis XV, restait si profondément attaché à la royauté que, même en 1789, le Tiers-État, dit Mme de Staël, « désirait encore se rattacher à la couronne ». Faut-il enfin citer le témoignage, non moins affirmatif, de Mounier : « On censurait, on ridiculisait les fautes de l’administration ; mais personne ne pensait, en 1787, aux moyens de changer le gouvernement[1]. »

Ce qui était réellement dangereux, sinon encore pour la royauté elle-même, du moins pour la société actuelle qu’on accusait vaguement de tous les maux dont on souffrait, c’était de montrer clairement pourquoi cette société était mal faite, d’énumérer et d’étaler tous ces maux et de leur trouver des remèdes souverains : c’est justement là ce que faisait l’Encyclopédie.

Or, ce dont on souffrait le plus vivement alors, ce qu’on était le plus impatient de voir disparaître, ce n’était pas tant le despotisme, plus tracassier au fond que véritablement oppresseur, gêné qu’il était et contrôlé sans cesse par l’opinion publique ; mais c’étaient des inégalités sociales qui n’avaient plus leur raison d’être : d’une part, en effet, les nobles, ces « inutiles faquins », suivant le mot de Voltaire, ne pouvaient plus invoquer, en faveur de leurs privilèges, les services rendus au pays et, d’autre part, les bourgeois, désormais riches et instruits, se sentaient dignes de remplir toutes les charges qui leur étaient interdites. Qu’on abolisse donc les privilèges et que toutes les carrières soient ouvertes à tous les talents, tel est le double vœu de la bourgeoisie au dix-huitième siècle, et ce double vœu, les Encyclopédistes vont en démontrer la légitimité, l’accentuer par conséquent, le rendre plus pressant, plus impérieux que jamais et ils vont, en outre, préciser les moyens de le satisfaire.

  1. Mounier : De l’influence attribuée aux philosophes sur la Révolution française. Paris, 1822, p. 29.