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core, il les eût laissés parler et n’en aurait pas moins gouverné suivant son bon plaisir, ainsi que faisaient et Frédéric et Catherine, le premier quand il attirait chez lui les plus grands ennemis de la philosophie, les Jésuites (car « la politique a d’autres règles que la métaphysique ») ; la seconde, quand elle écoutait complaisamment les belles tirades de Diderot et concluait par ce mot dit à l’oreille de Grimm : « Tout cela nous va comme une selle à une vache[1]. »

Tocqueville pensait qu’un habile et puissant monarque aurait pu conjurer la Révolution : or, le monarque eût été d’autant plus puissant qu’il eût eu l’habileté de gouverner par les Encyclopédistes l’opinion publique ; les Encyclopédistes étaient ses auxiliaires naturels contre ceux qu’ils appelaient dédaigneusement les porte-Dieu et dont d’Alembert disait qu’ils « faisaient entre eux une ligue offensive et défensive pour s’opposer à l’autorité royale ». Et ainsi, nous aboutissons de toutes parts à cette conclusion que, si l’ancienne monarchie avait pu être sauvée, elle l’eût été par un roi philosophe[2].

Et cependant, partout où l’on parle des philosophes, on les accuse ou on les loue, suivant les préférences politiques de l’auteur, d’avoir hâté, par leurs écrits, la Révolution française. N’ont-ils donc, en aucune façon, mérité cette accusation ou cet éloge et, parmi les causes, si souvent signalées, de la Révolution, ne doit-on plus compter la philosophie du dix-huitième siècle ?

Ce n’est point là ce que nous avons voulu établir : nous croyons simplement qu’à propos de cette influence des philosophes sur la Révolution, influence qu’il est d’ailleurs plus aisé d’affirmer que de démontrer, il y a plusieurs distinctions fort importantes à faire. Il faut, avant tout, distinguer les époques et, par conséquent, les idées, dont on parle ; car dans aucun siècle les idées n’ont marché si vite

  1. « Le despote, s’il a de l’esprit, laisse bavarder les philosophes ; et s’il aime l’éloquence, il trouve leur bavardage beau. » Grimm, dans Did. : Œuvres, VI, 451.
  2. En 1800, Rœderer écrivait : « Si Louis XVI eût imité Frédéric, s’il se fût mis à la tête des philosophes, il régnerait encore. » (Œuvres, IV, 500.)