Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/157

Cette page a été validée par deux contributeurs.

plètement égoïste et terre à terre. C’est bien leur philosophie sensualiste, en effet, qui leur a dicté les principes, à la fois plus vrais et plus humains, qu’ils vont opposer avec succès aux cruels sophismes des criminalistes de leur temps. Ces derniers, confondant, comme on l’avait fait jusqu’à eux, le droit avec la morale et, qui pis est, avec la morale religieuse, puisqu’ils définissaient le crime « ce qui est contraire aux lois divines[1] », partaient de ce principe que l’homme, étant parfaitement libre, était absolument responsable de ses fautes devant la société et devant Dieu. C’est donc la conscience même du coupable qu’on voulait atteindre et c’est son « expiation » qu’on voulait obtenir : à ce prix seulement la société était satisfaite et Dieu était « vengé ». Dès lors, plus on frappait fort, c’est-à-dire plus on égalait la souffrance à la malignité du coupable, plus aussi on était sûr d’avoir « puni », comme il le méritait, le prévaricateur, ou, comme on disait encore, de l’avoir justement « châtié ». Mais alors, s’écriait avec sa haute raison Montesquieu, « quelle sera la fin des supplices ? Si les lois des hommes ont à venger un être infini, elles se régleront sur son infinité », et l’on verra surgir les chevalets, les roues et les brodequins ! « Nous traînons encore sur la claie, s’écrie Voltaire, nous traversons d’un pieu le cadavre d’un homme qui est mort volontairement, nous rendons sa mémoire infâme et nous déshonorons sa famille[2] ».

Tout autre et autrement pitoyable à l’humaine faiblesse est l’idée que se font du criminel les philosophes du dix-huitième siècle. Et d’abord ils ne croient guère à sa pleine liberté, laquelle faisait son crime si grand, si difficilement expiable aux yeux des magistrats de ce temps : ils sont, pour la plupart, déterministes. Mais alors, leur objectait-on, comment oserez-vous condamner un accusé, s’il n’est pas libre ? À cela, d’Alembert répond : « On aurait tort de prétendre que, si nous ne sommes pas libres, il faudrait anéantir

  1. Muyart de Vouglans : Instit. au Droit criminel, 1768, part. I, ch. i.
  2. Comment. sur le livre des délits et des peines, XIX.