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l’état de riche laboureur serait considéré et protégé, la culture qui se fait avec les bœufs (la petite culture, comme on l’appelait alors) disparaîtrait presque entièrement. » Ainsi, à côté des maux, nettement caractérisés, on indique les remèdes avec non moins de précision ; le tout, du reste, est appuyé sur des chiffres et des tableaux qui sont aujourd’hui pour nous des documents historiques ; et enfin, comme on ne saurait avoir trop raison quand il s’agit de réformer des abus, voici, sur la matière, le témoignage d’un de nos concurrents de ce temps. Un Anglais, Mun, ayant publié, en 1700, un ouvrage sur « les avantages et désavantages du commerce étranger de l’Angleterre », l’Encyclopédie en reproduit les lignes suivantes, bien faites pour exciter l’émulation de ses lecteurs et, si possible, du gouvernement : « Si l’on parcourt quelques-unes des provinces de la France, on trouve que non seulement plusieurs de ses terres restent en friche, qui pourraient produire des blés et nourrir des bestiaux, mais que les terres cultivées ne rendent pas, à beaucoup près, à proportion de leur bonté, parce que le laboureur manque de moyens pour les mettre en valeur. Ce n’est pas sans une joie sensible que j’ai remarqué, dans le gouvernement de la France, un vice dont les conséquences sont si étendues, et j’en ai félicité ma patrie. Mais je n’ai pu m’empêcher de sentir en même temps combien formidable serait devenue la France, si elle eût profité des avantages que ses possessions et ses hommes lui offraient. »

Mercier regrettait qu’il n’y eût pas à Paris, comme jadis à Athènes, « une tribune aux harangues, du haut de laquelle on tonnerait contre les abus et on proposerait ce qui peut être utile au bien public. » Après tous ces exemples, ne pouvons-nous pas dire que cette tribune, avec toutes les restrictions naturelles que comporte alors un tel mot, ce fut l’Encyclopédie qui en tint lieu ? On vient de le voir, en effet, il n’y a pas un abus qu’elle n’ait dénoncé, il n’y a pas une réforme utile qu’elle n’ait réclamée, tantôt avec timidité et par de prudentes insinuations, tantôt plus ouvertement et parfois même avec une précision et une éloquence