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seule, on l’établissait sans conteste du même coup, puisqu’il est la loi même de la science et que sur le domaine scientifique, les anciens ont toujours tort, et toujours raison les modernes, c’est-à-dire les derniers venus.

Mais ce n’est pas seulement le progrès scientifique, c’est-à-dire une chose incontestable, c’est encore, et ceci était beaucoup moins évident, le progrès par la science qu’affirmaient unanimement les Encyclopédistes. Or, ici encore la science particulière qu’ils honoraient de leurs préférences devait les conduire nécessairement à cette affirmation : en effet, Descartes lui-même avait bien pu se demander à quoi servent les mathématiques ; mais les applications de la physique sont si nombreuses et si manifestes ; elles se commandent, pour ainsi dire, et se suscitent si rapidement les unes les autres qu’un jour devait venir où l’immense profit qu’on retirait des sciences physiques apparaîtrait, non plus seulement comme l’heureux résultat, mais, ainsi que cela avait eu lieu à leur origine, comme la raison d’être et le but même de ces sciences : but légitime s’il en fut, car il n’était autre que le bonheur de l’humanité.

C’est Bacon le premier qui assigna à la science ce but essentiellement pratique. Le savant dans l’antiquité avait été un curieux qui n’étudiait que pour connaître la vérité ; au moyen âge, c’était un disputeur qui posait et soutenait des thèses à grand renfort de syllogismes et au profit d’une vérité d’ailleurs immuable ; avec Bacon, il ne s’agit plus de s’élever, comme avaient fait Platon et Aristote, à la connaissance désintéressée des premiers principes, ni d’établir, à l’exemple des scolastiques, des propositions de métaphysique ou de théologie : c’est la nature seule qu’il faut désormais interroger ; dans cette nature, c’est, non l’origine, non les causes premières, mais uniquement les causes secondes et prochaines qu’il faut rechercher ; et enfin dans cette recherche ou, comme s’exprime Bacon lui-même, dans cette « chasse », ce n’est plus le plaisir seul de la chasse qui est le but poursuivi, mais bel et bien le gibier qu’on en espère.