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je sais que, s’il continue, il se prépare des tracasseries et des chagrins pour dix années. » Diderot, on le sait, resta seul sur la brèche : mais il perdait en d’Alembert son plus utile auxiliaire ; on va voir, en effet, le rôle important et curieux à la fois que joua d’Alembert dans l’histoire de l’Encyclopédie.

Et d’abord c’est lui qui recruta à l’Encyclopédie naissante, qui avait besoin d’être recommandée et vantée, la plus grande trompette du siècle : nous voulons parler de Voltaire. Sans doute Voltaire était prêt à s’enrôler au premier appel dans cette jeune milice de libres penseurs qui menaçaient d’accaparer l’opinion publique et dont il ne demandait pas mieux que de partager, à la façon du lion de la fable, la bruyante renommée. Encore fallait-il savoir dire à Voltaire les flatteuses paroles qu’attendait son exigeant amour-propre, et c’est à quoi réussit, beaucoup mieux que le négligent et brusque Diderot, l’insinuant et persévérant d’Alembert ; n’était-il pas capable de lire (ou de dire qu’il avait lu, ce qui revenait au même) « trois fois consécutives le Siècle de Louis XIV » et cela avec un tel plaisir qu’il aurait voulu « perdre la mémoire pour pouvoir le relire encore ». L’on verra tout à l’heure comment le Discours préliminaire payait à « ce génie rare le tribut d’éloges qu’il méritait ». Voltaire une fois enrégimenté, il fallait, ce qui était plus difficile, le maintenir dans les rangs, lui qui prétendait être le premier en tout ; et il fallait encore, la consigne à l’Encyclopédie étant de paraître orthodoxe, lui rappeler sans cesse cette consigne à lui qui, très éloigné du champ de bataille, ne se rendait pas toujours compte des difficultés de la lutte, à lui qui, tout en recommandant sans cesse aux autres de faire patte de velours, ne pouvait laisser perdre une occasion de montrer la griffe et d’égratigner. « Nous aurons bien de la peine, lui écrit d’Alembert, à faire passer cet article liturgie ; d’autant plus qu’on vient de publier une déclaration qui inflige la peine de mort à tous ceux qui auront publié des écrits tendans à attaquer la religion ; mais, avec quelques adoucissements, tout ira