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tionnelles plaisanteries sur les Welches : « J’aime encore mieux être Français que Russe », et qui arrachaient à d’Alembert lui-même ce candide aveu sur sa « bonne amie » Catherine, après le meurtre d’Ivan VI : « Je conviens que la philosophie ne doit pas trop se vanter de pareils élèves. » Et puis Pétersbourg était bien loin de Paris, le seul endroit du monde où il fût doux de vivre au dix-huitième siècle, et il faisait enfin cruellement froid à Pétersbourg : pour avoir été jusque-là, le pauvre Diderot en frissonnera jusqu’à la fin de ses jours. En approuvant d’Alembert d’être sagement resté au coin de son feu, le frileux Voltaire s’écriait : « Il aurait eu beau se vêtir de peaux de martre, il y aurait laissé la sienne ! » On voit par là que, si d’Alembert ne courut pas après la fortune, ce n’est pas uniquement, comme l’assure Condorcet, « parce que ses talents appartenaient à la patrie ». Il pensait avec raison et disait avec mauvais goût qu’il « vaut mieux avoir les rois pour maîtresses que pour femmes » ; et c’est pour cela encore qu’il refusa judicieusement d’aller présider l’Académie de Berlin à la mort de Maupertuis. Mais, s’il avait le bon esprit de n’aller ni en Russie, ni en Prusse, il souffrait très bien que l’argent de la Prusse et de la Russie vînt à lui ; car cet « amour de l’indépendance qu’il portait, disait-il lui-même, jusqu’au fanatisme » ne l’empêchait, ni de toucher régulièrement sa « petite pension brandebourgeoise », soit 1 200 livres de rente, que les incroyables impertinences de son protecteur lui faisaient, du reste, si largement gagner ; ni de mendier auprès de ce même Frédéric 2 000 écus pour aller voir l’Italie, ni enfin de quêter, le mot n’est que juste, les bienfaits de la grande Catherine.

D’Alembert se retira donc de l’Encyclopédie, où il n’y avait, lui semblait-il, plus rien à gagner que des emprisonnements ou des censures. Il espéra un moment que Diderot justifierait sa défection aux yeux du public en se retirant avec lui : « Je ne sais, écrivait-il à Voltaire, quel parti prendra Diderot. Je doute qu’il continue sans moi ; mais