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Si elle est causée par l’expansion des gaz dégagés sous la carapace solide, elle s’annonce par des détonations qui semblent partir d’une artillerie, tirant dans les profondeurs du lac. Les chiens alors se couchent effarés, ventre plat. Ils ne bougeraient plus, si le conducteur ne « jouait du fouet ».

La crevasse est ordinairement le simple effet de la dilatation de la glace par le froid plus intense : elle s’ouvre avec un craquement subit. Le seul parti est de rebrousser chemin devant elle, ou bien de la côtoyer, des heures, jusqu’à quelque détroit qui se laissera franchir. Le péril grave entre tous est celui d’une crevasse insoupçonnée qui commence seulement à se fermer par la congélation de l’eau qui l’a remplie. L’équipage qui s’y laisserait choir serait perdu.


Cela dit, représentons-nous l’un des grands lacs du Nord, dont l’étendue égale celle d’une Belgique. Les crevasses qui avaient répondu aux premiers besoins de la dilatation se sont comblées et ressoudées. Mais le thermomètre descend toujours. Le voici à 50 degrés sous zéro. Le volume d’une telle superficie de glace, épaisse de deux à trois mètres, ne trouve plus d’issue vers le granit des rivages déjà tout envahis. Que va-t-il se passer ? Sous la pression persistante du froid, les molécules se tassent de plus en plus dans la masse frémissante. À la fin, la partie médiane, qui reçoit la somme des poussées s’exerçant des rives opposées, commence à se surélever, et un bourrelet se forme sur la plaine de glace. Au Grand Lac des Esclaves, ce bubon, dont les lèvres lézardées montent, s’ouvrant vers le ciel comme un col de cratère, atteint plusieurs mètres de hauteur. Sur la mer Glaciale, il devient la montagne de glace, l’iceberg. Les voyageurs des Pays d’en Haut lui ont gardé le nom de bordillon, bien qu’il se forme tout autrement que sur les fleuves.

Ce bordillon, qui barre tout le lac, ne peut se contourner. Le traîneau cherche alors, longtemps parfois, un col accessible, le long de ces « éminences en zig-zags et en dents de scie », où s’enchevêtrent « les dos d’âne et les précipices ». Il est rare que l’on puisse avoir raison de ces impasses, sans abattre maints glaçons à coups de hache, et