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AUX GLACES POLAIRES

Le jour où il ne pouvait plus suivre la caravane, le vieillard était prévenu. On lui faisait un petit feu ; on lui laissait les dernières provisions ; et chacun de lui toucher la main, en lui recommandant de se glisser sous un tas de bois, préparé à cet effet, quand il se sentirait mourir, afin que ses restes ne fussent pas dévorés par les bêtes de la forêt :

— Lorsque nous repasserons, dans les lunes de l’été, nous ensevelirons tes os, et ton esprit sera en paix.

C’était l’adieu.

Bien peu, sans doute, survécurent à cette épreuve. Nous ne savons qu’un fait, arrivé vers l’année 1900, pour nous dire quelque chose de la longue lutte que devaient soutenir ces abandonnés, contre la mort.

Deux jeunes gens, d’une tribu des montagnes Rocheuses, qui avaient refusé le baptême, vivaient avec leur mère chrétienne. Un automne, ils lui annoncèrent que sa fin était venue. Ils lui préparèrent un feu ; lui laissèrent un peu de viande desséchée, ainsi qu’un grelot de collier de chien et un tambourin, qu’elle avait demandés comme dernière faveur ; et, s’éloignant, lui promirent qu’ils reviendraient lorsque les neiges seraient fondues, pour lui rendre les derniers devoirs.

Sept mois après, ils revinrent en effet.

Leur canot amarré, ils s’avancent dans la forêt, avec les prostrations et les lamentations d’usage, dans le rite païen des funérailles. Comme ils abordent le « tas de bois », quelle n’est pas leur stupeur d’entendre s’en échapper un gémissement, tout faible, presque imperceptible. Un squelette, à peine respirant, se dégage peu à peu… Leur mère ! Ils veulent fuir. Mais, de ses mains décharnées, elle les supplie de l’écouter. Haletante, et comme si elle en demandait