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LES ÂMES

Quel est cet ennemi, ce dénédjéré (littéralement l’homme mauvais, inimicus homo) ? Personne ne pourrait le dire ; personne ne l’a jamais vu, bien que chacun affirme l’avoir rencontré un jour. Mais il est là, nul n’en saurait douter ; et il n’y a de salut que dans la fuite. « Et voyez l’astuce de cet ennemi, font-ils remarquer ; il ne vient jamais l’hiver, le lâche ! parce que sur la neige nous verrions ses traces, mais seulement l’été ! »

Pauvres cerveaux, affaiblis par les privations, par l’isolement, par les anciennes défaites, et, dit le missionnaire, par le démon qui multiplie leurs frayeurs, afin d’accréditer ses ministres, les sorciers, qui se donnent la puissance et le privilège d’évincer l’ennemi, le dénédjéré !


Le sorcier, dont le prestige universel n’a pas encore reçu le coup fatal, centralisait jadis le culte des Dénés envers les esprits supérieurs.

Les esprits supérieurs étaient répartis selon le système manichéen : le bon et les mauvais. Du Puissant bon, Yédariénéson, venait tout le bien ; des Puissants mauvais, Yédariéslini, venaient tous les maux ; et l’homme n’était que l’enjeu irresponsable de la lutte qu’ils se livraient, lutte dont les mauvais esprits sortaient ordinairement vainqueurs.

Le Puissant bon et juste, qui ne se dégageait pas des formes palpables de l’univers, était « Celui par qui la terre avait été faite, Néoltsini ». Certaines tribus, comme les Peaux-de-Lièvres et les Loucheux crurent à la trinité de cet esprit, presque à la manière des Égyptiens : « Le Père, assis au zénith ; la Mère, au nadir ; le Fils, parcourant le ciel de l’un à l’autre. »


Un jour, en s’y promenant, racontent les Peaux-de-Lièvres, ce Fils aperçut la terre. Alors, étant retourné vers son Père, il lui dit, en chantant (et ce chant est conservé parmi les Peaux-de-Lièvres) : « Ô mon Père, assis en haut, allume donc le feu céleste, car sur cette petite île (la terre, que les Indiens croient être une île ronde), mes beaux-frères sont depuis longtemps malheureux. Vois-le donc, ô mon Père ! Alors, descends vers nous, te dit l’homme qui fait pitié ! »


La vieille sorcière K’atchoti, à qui le Père Petitot demandait si les Dénés avaient ouï dire que le Fils de Dieu fût venu sur la terre, répondit :