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AUX GLACES POLAIRES

que moi donnèrent le signal du réveil. Quelle ne fut pas la surprise de ces braves gens en apercevant, au sortir de leurs tentes, un prêtre ! Leur joie était telle qu’ils ne cessaient de me dire merci.


Avec de tels amis, le reste du voyage fut un plaisir.


Le Père Giroux lui-même se rendit une fois jusqu’à l’Île Herschell ; mais ses campagnes ordinaires avaient pour rayons les 350 kilomètres à la ronde que fréquentaient les Loucheux. Ses raquettes et son canot croisèrent en tous sens le domaine errant de ses bons enfants. Regagna-t-il une seule fois sa cabane, sans rapporter de sa course un cœur brisé par des spectacles de souffrance ? Les consolations d’avoir vu la résignation sublime de ses chrétiens l’emportaient toutefois sur sa tristesse.

Son noviciat des horreurs du Nord commença de bonne heure. À peine avait-il atteint la terre de son apostolat, en 1889, qu’il écrivait :


… Nous apprenons qu’un chasseur jeûnait au lac d’Auray (non loin de Good-Hope). Nous n’aurions pu, malheureusement, rien faire pour lui. La mission épuisait ses dernières ressources. Dans le courant d’avril, le pauvre sauvage succomba, et sa femme vint s’installer, avec ses enfants, sur le bord d’un chemin, espérant que quelque traîneau passerait par là et lui porterait secours… Ses deux garçons moururent les premiers. On a pu s’en convaincre par la sépulture que les mains maternelles leur firent sous la neige, à l’extérieur de la loge. Les deux grandes filles succombèrent après eux, car la mère n’eut plus la force de sortir leurs cadavres et de leur rendre le même triste devoir. Elle dut prendre alors dans ses bras sa dernière petite fille, âgée seulement de quelques mois, et, la pressant sur son sein, la mettre à la source de la vie, si forte sit spes ! Mais non, il n’y avait plus d’espoir… Toutefois, cet être fragile et délicat survécut à toute la famille, car, par sa position, on reconnut que l’enfant avait fait des efforts pour s’arracher des bras de sa mère…


Parmi les morts qu’il eut à déplorer dans sa chrétienté Loucheuse, le Père Giroux n’en vit peut-être de plus tristement touchante que celle de la vieille Cécile, célèbre sauvagesse-apôtre, qui avait été le précurseur, puis l’auxiliaire du prêtre, dans sa tribu.,