Page:Duchaussois - Aux glaces polaires, Indiens et Esquimaux, 1921.djvu/396

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
383
LES PEAUX-DE-LIÈVRES

Mackenzie est celui de la débâcle. Il inspira cette page au Père Petitot :


Le 7 juin 1865, à 6 heures du matin, de formidables détonations se tirent entendre ainsi qu’un fracas infernal. La grosse glace débâclait. Il n’est rien qui donne une idée plus frappante du chaos primitif et de la confusion dernière. C’est un mélange monstrueux, informe, unique, de masses gigantesques, hautes comme des maisons, grosses comme des rochers, qui s’en vont mugissant, hurlant, majestueuses ou courroucées, se rompre contre d’autres plus monstrueuses encore ; puis retombent en couvrant de leurs débris les flancs des colosses contre lesquels elles se sont heurtées. Elles s’engloutissent dans le flot qui marche, pour reparaître plus loin, surgissant au milieu de glaçons moindres, qu’elles déplacent, soulèvent et culbutent.

L’imagination prête vie et sentiment à ces monstres qui se meuvent, se retournent, chevauchent les uns sur les autres, se bousculent, se pressent et s’agglutinent. Lorsque le volume des glaces excède la largeur du fleuve, bien qu’il ait ici trois kilomètres, celles-ci se soulèvent sur les rivages en remparts d’une maçonnerie titanesque ; elles se suspendent à une grande hauteur, semblables à des constructions cyclopéennes. En même temps elles labourent les rives, entassent les terres, se creusent des godets profonds, montent des rochers avec elles dans un déploiement de force dont rien ne peut donner une idée.

Troupeau d’éléphants furieux, répandus dans les jungles, qui renversent, saccagent, broient tout ce qui s’oppose à leur passage ; avalanche grossissante qui dévale du sommet des Alpes en entraînant habitations, pans de forêt et quartiers de rocs ; locomotives puissantes qui réunissent leurs poitrails cuirassés et haletants pour balayer les routes obstruées par la tourmente… : il y a de tout cela dans la grande débâcle, l’u tèwè, du fleuve Géant du Nord.

« Cet affreux mais grandiose spectacle dura trois jours. »


La débâcle de 1836 emporta le premier fort Good-Hope, bâti à 162 kilomètres en aval, et la Compagnie de la Baie d’Hudson refit le comptoir, en 1836, sur l’entablement actuel, que ses 55 pieds d’élévation par-dessus le fleuve ne garantiront pas toujours du « labour » des glaces.


Se tournant vers le nord, la mission Notre-Dame de Bonne-Espérance rencontre, à cinq minutes, le cercle polaire. Une colline, qui s’interpose entre Good-Hope et le sud, dérobe cependant au commerçant et au missionnaire le demi-disque rouge qui affleure, en réalité, l’horizon de