Page:Duchaussois - Aux glaces polaires, Indiens et Esquimaux, 1921.djvu/372

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
359
LES ESCLAVES

La veine des souffrances ne devait pas tarir de sitôt, à la mission Saint-Paul, après le départ du Père Lecomte.

En février 1890, le Père Gourdon monta de Saint-Raphaël pour le remplacer. Il perdit tous ses chiens, en route, dans la neige extraordinairement profonde.

Au petit jour du 7 juin suivant — fête du Sacré-Cœur — cette neige, grossie de la neige fondue dans les montagnes, envahit la mission, juchée cependant à une hauteur où l’eau n’avait jamais atteint. Le Père Gourdon, éveillé par le clapotis du Hot contre son lit, n’eut que le temps de dire la sainte messe, de saisir son fusil et de grimper dans un sapin. De là-haut, à 20 mètres de terre, il vit partir, à la débandade, tout le bois de chauffage qu’il avait amassé brassée par brassée, son traîneau, tout ce qui n’était pas sa maison. Entre temps, il tirait pour appeler. Le commis, réfugié lui-même dans sa barque, vint le délivrer.

L’eau baissée, le missionnaire rangea son logis, et, n’attendant plus les sauvages, après ce déluge, il descendit au fort des Liards, quitte à revenir à l’automne.

Il était à prendre le soleil, devant la mission Saint-Raphaël, l’après-diner du 16 juillet, lorsqu’il aperçut, au large de la rivière des Liards, une petite caisse qui flottait. II lança un sauvageon à sa poursuite, et il ne tarda pas à reconnaître, dans l’épave rapportée ; le tabernacle de la mission Saint-Paul. Il comprit : l’inondation avait repris, au fort Nelson, avec les pluies, et sa maison s’en était allée. Il ne fut pas long à équiper un canot et à remonter au fort Nelson. Il trouva sa route jalonnée de ses meubles : à la cime d’un arbre, sa soutane de travail ; sur une pointe de rocher, son ostensoir et sa cloche ; ailleurs trois de ses chandeliers et deux pièces de son poêle. Au fort Nelson, plus rien ; ni maison, ni chapelle, à peine quelques ruines méconnaissables. Des sauvages jouaient à la main avec la relique de la vraie Croix, qu’ils avaient ramassée on ne sait où…


Le missionnaire à qui fut donnée la consolation de parfaire la conversion du fort Nelson — consolation achetée par douze années de voyages, de travaux, d’ennuis de toutes espèces, — fut le Père Le Guen.