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LES ESCLAVES
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rapides exige même un redoublement de cette corvée, qui consiste à tirer l’esquif, à force d’épaule et de jarret, du haut d’une grève horriblement enchevêtrée, et prête à*vous lâcher cent fois dans l’abîme, avec ses pans de terre et ses rochers déboulants.

Si notre voyage s’est heureusement accompli, nous avons peiné plus que la semaine entière pour nous mettre en perspective du fort des Liards. Le voici, à 350 kilomètres du fort Simpson, sur la rive droite, en belle terre noire, fertile, et adossé à une forêt qui n’attend que la pioche et la charrue pour se convertir en champs aussi féconds que les prairies, de la rivière la Paix.

La région abonde, en liards : peupliers balsamiques.

Un de ces peupliers-liards eut sa célébrité, à l’origine du fort des Liards…

Comme il était large et isolé, les sauvages le prenaient pour pivot de leurs danses. La danse finie, la neige était noire de poux, autour du liard : c’est pourquoi le fort des Liards s’appela aussi le fort des Poux[1]. L’archidiacre Hunter passa un mois au fort des Liards,

  1. Renseignement de Boniface Laferté, qui vit ce liard, ces danses et ces poux.

    La danse des Dénés ne rencontra que peu d’opposition chez les missionnaires. Ils se contentèrent de la détourner de sa signification rituelle païenne. C’eût été trop entreprendre que d’abolir ce divertissement qui passionne les sauvages, au temps de leurs fêtes et de leurs réunions générales, et qui, durant des jours et des nuits, harasse les exécutants et les induit au lourd sommeil, bien plus qu’au relâchement des mœurs. Les hommes dansent ensemble, les femmes aussi ; et, si le mélange des âges et des conditions se fait, on y reste aux antipodes de certaines danses raffinées et dégoûtantes de notre civilisation. Au plus, se tiendront-ils par la main pour former le cercle. Cette description d’un missionnaire est parfaite :

    « Mais quelle danse ! Qu’on se figure une foule de tout âge et de tout sexe, depuis l’enfant jusqu’au vieillard, trottinant en cercle autour d’un grand feu, les uns à côté des autres, le corps voûté et leur couverture placée sur la tête ou drapée autour du corps. Ils sautent lourdement, en accompagnant leur mouvement rotatoire de convulsions d’épileptiques ; en même temps, ils hurlent des ah ! ah ! des eh ! eh ! et des eyia ! egia ! egia-a ! à fendre la tête, aspirant violemment ces syllabes, comme si la respiration leur manquait tout à coup. Dans ces mouvements, ils imitent les gestes et les allures de l’ours, qui joue un grand rôle dans leurs légendes… Toutes ces noires et fantastiques figures, qui tourbillonnent dans une demi-obscurité, passent et repassent devant le feu comme des ombres chinoises ; leurs cris lugubres, qui vont toujours crescendo, sont répétés par les échos et ajoutent au caractère sauvage de cette danse. »