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AUX GLACES POLAIRES

fut jetée au Mackenzie, le dégel venu, que le fleuve en était couvert.


Huit mille lièvres en un hiver, allez-vous dire ! Et des lièvres ! Mais quelle Capoue de délices est donc ce Mackenzie !

Considérez.

L’on entend par lièvre, au Mackenzie, un animal qui, gris l’été et blanc l’hiver, ne ressemble au lièvre des gras tirés de l’Europe que par ses formes organiques. Il a en propre la petitesse, la maigreur extrême, l’insipidité de la chair, si l’on peut appeler chair deux filasses de fibres
Notre lièvre du Nord
sèches collées au derme autant qu’aux os. Rossinante de lièvre, il pèse une plume. Écorché, bouilli, il fournit un ragoût raccorni, odorant le sapin, et dont un chien de France se détournerait. Manger du lièvre signifie, chez nous, misère vivante.

Et béni soit cependant notre lièvre ! Si minime soit-elle, sa valeur nutritive empêche de succomber. Huit mille lièvres ont sauvé la vie à cent personnes. Et même serait-il impossible de mourir de faim, au Mackenzie, s’il y avait toujours des lièvres.

Mais le lièvre n’est pas toujours là. Il ne rôde dans les bois que par époques. Chaque sept ans, il disparaît. Est-ce qu’il se cache pour mourir ? Émigre-t-il ? Les deux, dit-on. Ce que l’on sait, c’est que de millions d’individus il passe au dépeuplement complet, et qu’alors le chasseur ne peut plus se risquer au loin ; que pour trois ou quatre ans il n’y aura plus de lièvres ; et qu’après ce laps ils reviendront, peu à peu, jusqu’au nombre d’autrefois, pour disparaître encore tout à coup.


Qu’adviendrait-il des missionnaires, des Sœurs de Charité, des orphelins, des malades et des vieillards recueillis, si, la même année, le renne, le poisson et le lièvre venaient à manquer ensemble ?