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LES PLATS-CÔTÉS-DE-CHIENS

des chaises girouettantes, comme des confiances imbéciles aux tireuses de cartes ou de bonne aventure, qui sommes prêts à nous étonner de trouver chez des Peaux-Rouges, convertis d’un demi-siècle, les traces d’un fétichisme ancestral.

Les pratiques directement barbares et sataniques n’ont pas tenu, en présence de l’Évangile ; mais les autres ne cèdent que lentement. On verra les meilleurs chrétiens jeter furtivement à l’eau une pipe, un couteau, un objet de valeur, pendant la tempête « afin d’apaiser l’esprit des vents ». Ni hommes, ni chiens surtout, ne doivent manger la chair des animaux à fourrures précieuses : elle est sacrée. Il est défendu de rire des orignaux. Le chasseur a son animal tabou, qu’un rêve lui a révélé. Ainsi, l’un ne prendra pas de martre ; tel autre ne pourra abattre un lièvre, une oie ; Pierre Beaulieu n’a jamais tué d’ours ; il se contente d’une révérence à ceux qu’il rencontre. Plutôt la mort que de violer le tabou. Le tabou, en retour, envoie les autres bêtes sous les flèches de son fidèle. Les Plats-Côtés-de-Chiens coupent le nez des peaux, ce qui en abaisse le prix. Pourquoi ? On n’a pu le savoir. Le Père Bousso faillit trouver mauvais parti, un automne qu’il avait déchaîné les ouragans, au fort Rae, en mettant à l’épouvantail un corbeau voleur, qu’il avait occis. Le Père Breynat, missionnaire des Mangeurs de Caribous, avait achevé un renne d’un petit coup de crosse sur le front. Deux offenses graves : 1o frapper à la tête ; 2o tuer avec du bois. Les rennes allaient donc déserter le Fond-du-Lac, et vouer à la mort toute la tribu des Mangeurs de Caribous. Mais peut-être le sacrifice du missionnaire — à quoi tient l’affection ! — peut-il encore apaiser les esprits des caribous : il faut donc qu’il parte. On le lui dit sans ambages ; on l’accepte même comme secrétaire pour la lettre demandant son expulsion, que l’on veut écrire à Mgr Grouard. La lettre partit, le Père Breynat resta, et les caribous revinrent, la saison suivante, plus nombreux que jamais. C’était, croyez-vous, le coup fatal porté au front de la superstition, la confusion des Indiens ? Point si vite ! Un vieillard, député de la tribu, vint dire au père :


Nous savons pourquoi les caribous sont revenus, car nous