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AUX GLACES POLAIRES

et le plus voisin de la nature déserte arctique. Ils installaient leurs appareils météorologiques ; et, entre leurs séances d’observations, ils allaient causer un peu avec le missionnaire, leur ami. Aux célébrités de la science se mêlaient parfois les célébrités du sport, des chasseurs universels, aux trophées desquels il manquait la tête laineuse et cornue d’un ovibos — bœuf musqué — habitant des terres stériles, bête à la cruauté mortelle contre le chasseur qui ne fait que la blesser[1].


R. P. Roure
C’est chez les Flancs-de-Chiens que l’on peut toucher le mieux encore à la prunelle de l’âme païenne : la superstition. De tous les Dénés, en effet, ils demeurent les superstitieux émérites. Quoiqu’ils aient admirablement tourné vers la vérité leur naturelle religiosité, ce n’est pas nous, christianisés de vingt siècles et témoins des phobies persistantes du fatidique vendredi, du nombre 13, des salières renversées,

  1. Le Père Roure écrirait, s’il le voulait, une galerie de chapitres fort curieux, sur les singuliers savants et Nemrods qu’il vit défiler, au fort Rae, et qu’il aida souvent de plus que de ses conseils, en dépit de leur assurance de tout connaître et de tout savoir.

    Il a secouru ainsi un Englishman, septuagénaire, cousu d’or, dont la manie était de chercher une misère de ce monde qui put l’abattre. Il avait parcouru tous les continents et tous les climats. Il s’était mesuré, dans la jungle, avec les panthères, jaguars, crocodiles et lions. Mais il lui manquait d’avoir été dompté lui-même par les éléments ou par les fauves. D’où il doutait encore que la misère invincible, pour un vrai fils d’Albion, se trouvât sur notre globe. C’est pourquoi, en 1885, il arriva au fort Rae, décidé à affronter le Barren Land, où il comptait livrer combat au féroce bœuf-musqué, et poursuivre sa course aussi loin qu’il se pourrait. L’on saurait bien qui, de lui ou de l’hiver polaire, serait le vaincu. Il se mit à la vie sauvage, et y perdit bientôt le nez par 50 degrés de froid. C’est alors que le Père Roure le guérit. Il poursuivit ses tentatives ; mais il n’eut pas à se rendre jusqu’à la Terre Stérile, encore moins à capturer son ovibos, pour atteindre son bonheur. En deux jours de marche à la raquette dans l’abri des bois, il se gela si bien et vit ses provisions disparaître si vite, de par les soins de ses guides, qu’il se dit :

    « — C’est bon de connaître la misère (hardship) ; mais mourir de faim et de froid, c’est autre chose ! »

    Sur cette réflexion, il vira de bord, prit congé du Père Roure et du Nord, et retourna mourir, heureux enfin, dans son foyer d’Angleterre.