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AUX GLACES POLAIRES

d’acheter des charges de quartiers de rennes et de les envoyer aux orphelins du fort Providence. Une seule privation lui paraissait trop pénible : c’était de ne recevoir son fil à rets que trop tard pour la pêche de l’automne, et d’être astreint de la sorte à casser la glace, tout l’hiver, pour prendre le poisson dont il avait besoin.

Le Père Roure, homme de prévoyance renommée (quoiqu’il refusât toujours, afin d’être entièrement missionnaire des pauvres, les secours que lui offrait sa famille), souffrit-il de la faim ? On lui posa cette question. Il répondit, avec plaisir :

« — Oui. Un soir, j’allai me coucher sans souper, faute de provisions : je n’avais plus une bouchée de n’importe quoi. Une autre fois j’allai encore me coucher sans souper ; mais c’était par oubli. »

Une teinte d’humour agrémente toujours les histoires du Père Roure. Il faut l’entendre narrer doucement, par exemple, comment il faillit se voir ravir la couronne de cheveux qui lui restait, comme elle reste, grâce à Dieu, à la plupart des chauves. C’était trois jours après le départ d’une escouade de Plats-Côtés-de-Chiens, qui étaient venus au fort Rae remplir leur devoir pascal. Une femme revenait du camp, déjà très éloigné, afin de raconter au missionnaire sa désolation d’avoir saisi par la chevelure une autre femme, qu’elle voulait corriger. Comme elle s’égarait dans des considérations étrangères au sujet, et que le Père Roure, cette fois, était pressé, il l’arrêta :

— Enfin, dis-moi exactement ce que tu as fait à cette malheureuse ?

— Tiens ! répondit-elle ; voici :

Ce disant, elle prend des deux mains tout ce qu’elle peut empoigner des cheveux du père, et se met à les tirer à elle de toutes ses forces.

— Assez, assez ! Lâche-moi ! je comprends bien maintenant.

— Non, tu ne peux pas me comprendre encore, car je l’ai tenue plus longtemps que cela, et j’ai tiré plus fort. Je veux que tu saches tout.

Et les pauvres cheveux de pâtir de plus belle pendant les plusieurs minutes que dura la leçon de choses.