Page:Duchaussois - Aux glaces polaires, Indiens et Esquimaux, 1921.djvu/316

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
303
LES COUTEAUX-JAUNES

vicariat. Un portage de 25 kilomètres, aménagé dans le bois, sur la gauche des rapides, relie Sainte-Marie et Saint-Isidore. Les chevaux de Mgr  Breynat pourvoient au transport des barques et de leur contenu.[1]


Les rapides du fort Smith engloutirent plusieurs cargaisons de nos ravitaillements, attirées par la succion du courant, plus forte que les bras qui les poussaient vers le petit port du fort Fitzgerald ; et, hélas ! deux jeunes missionnaires : les Pères Brémond et Brohan.

Le Père Brémond était en charge de la mission Sainte-Marie, à la tête des rapides, depuis dix ans. Dévoué, aimable, prêchant à ravir, les sauvages le chérissaient. Le Père Brohan, nouveau prêtre, arrivait du scolasticat de Liège, en route pour sa destination du Mackenzie : bâti en « homme du Nord », remarquable de savoir-faire, il promettait une belle carrière. Le dimanche 14 juin 1908, après le salut du Saint-Sacrement, sur les quatre heures, le Père Brémond, canotier très adroit, se rendit au désir de son hôte qui se disait amateur d’une expédition en pirogue d’écorce, et lui proposa de traverser la rivière des Esclaves jusqu’à un endroit de la rive droite, d’où il est possible de voir bouillonner le premier rapide. Nos touristes revenaient en chantant. Comme ils atteignaient le remous qui constitue le port, le contre-courant empoigna la proue. Le contre-coup de pagaie du Père Brémond suffisait à empêcher le canot de pivoter sur lui-même et à le relancer dans le remous ; mais un mouvement nerveux du Père Brohan qui se souleva un peu fit chavirer l’esquif. Tout disparut, en un instant, sous les yeux consternés du Père Lefebvre et des Indiens. Des jeunes gens jetèrent les barques à l’eau

  1. Ces chevaux, les derniers que l’on rencontre, en allant au nord, dans le bassin d’Athabaska-Mackenzie, sont occupés au labour ou à la moisson de la ferme Saint-Bruno. L’hiver, on les relâche dans les bois, où ils pourvoient à leur nourriture, en grattant la neige jusqu’à l’herbe, avec leur sabot. Le cheval ne prendra pas, de longtemps, la place du chien de trait, dans l’Extrême-Nord, faute de routes. Les chemins du fort Fitzgerald au fort Smith, et du fort Smith à la ferme Saint-Bruno — quels chemins ! — sont les uniques et derniers carrossables du Mackenzie.

    Avant que n’existât le portage actuel de la rive gauche, les rapides se passaient à droite, par trois portages rapprochés, sur des pentes roides et dangereuses.