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AUX GLACES POLAIRES

C’était, dit-on, une chose à voir.’Trois fois par jour, sinon quatre, il appelait son troupeau à la maison-chapelle. Armé d’une clochette et du bâton qui ne le quittait pas, il circulait à grande allure, dans le camp, et vidait les loges. Sus aux traînards, malheur aux retardataires : sur les échines, martin-bâton ne chômait pas !

La paroisse réunie, tout continuait « à la baguette » : chants, prédication et cher catéchisme. Il avait l’éloquence de Notre-Seigneur et de Saint-Paul, la seule vraie et habile, l’éloquence du droit au but par l’affirmation : sit sermo vester : est, est ; non, non. Sa main, assistant sa parole, dispersait les distractions ; et les gifles claquaient en plein sermon, comme des éclairs, sur les faces mignonnes ou flétries des délinquants.

Avec cela, et pour cela, cœur d’or. La sensibilité qui le transformait en ardeur pour la gloire de Dieu, et qui l’aidait à la tâche, difficile pour un nerveux inflammable à tout choc, d’adoucir le fortiter par le suaviter, le faisait de cire, en présence d’une indigence à soulager. Les pauvres étaient ses privilégiés. Combien d’entre eux ont emporté à leurs petits enfants, sa dernière bouchée de poisson ou de caribou ! À l’égard de ses confrères, et des voyageurs du Nord qui frappaient à sa hutte, il étalait les trésors de cette hospitalité canadienne-française, avenante, riante, unique au monde, et dont la serre chaude, transplantée de Normandie et de Vendée, s’entretient sur les bords du Saint-Laurent. L’étranger, quel qu’il soit, retrouve sa maison, sous le toit canadien. On le lui déclare sans arrière-pensée, sans fade obséquiosité : « Faites comme chez vous ». La formule est invariable ; elle dit tout. Le Père Gascon recevait de la sorte. Pour les « visiteurs », il y avait toujours, en petite cache, une menue grillade de vieux lard, quelques fèves, importées de longtemps, longtemps ; il y avait, pour épicer le tout, la parlante et joyeuse humeur du pays de Québec.


En 1880, le Père Gascon, qui n’était plus qu’infirmités, dut dire adieu au Grand Lac des Esclaves et au Mackenzie.

Des trente-quatre ans qui lui restaient à vivre, il se tint encore debout et agissant pendant vingt-sept, aux missions du Manitoba, Puis son corps tomba tout entier.