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AUX GLACES POLAIRES

Le castor, animal rongeur, dont les sauvages prirent le nom et le signe héraldique, fut jadis le pourvoyeur de la rivière la Paix. Il s’y multipliait par nations. Un quart d’heure d’affût, au bord de n’importe quel étang, de n’importe quel ruisseau, procurait à la famille du chasseur tous les repas du jour. Aussi longtemps que les Indiens Castors furent les seuls en ces lieux, avec ces bêtes, ils ignorèrent la faim. Ils avaient la sagesse prévoyante de laisser dans chaque loge le couple qui suffisait à la repeupler. Mais de rapaces commerçants arrivèrent, et, avec eux, les Cris, les Iroquois, leurs serviteurs. Qu’importait à ces vandales de passage de ménager la race nourricière ? Ils exterminaient tout animal dont la fourrure valait leur plomb. Ainsi diminuèrent et disparurent peu à peu les castors.[1]

Restaient, et restent encore, les orignaux et les ours que l’on voit gambader sur les côtes des rivières, de juin à septembre. Mais les ours s’engourdissent, l’hiver, en des retraites presque introuvables ; et les loups dispersent souvent les orignaux. Par ailleurs, point de poissons dans la rivière la Paix, ni dans ses affluents.


Les missionnaires rapportent aussi à la frénésie du jeu à la main la déchéance de la tribu des Castors.

Le jeu à la main est la grande, l’universelle passion sportive des Indiens du Nord ; passion tellement invétérée que les missionnaires, après l’avoir longtemps attaquée, ont renoncé à l’extirper jamais. Ils se bornent à obtenir de leurs fidèles qu’ils n’y attachent plus les superstitions dont le jeu à la main était le rite social ; qu’ils se contentent de séances modérées ; et qu’ils ne mettent à l’enjeu que des bagatelles.

Autrefois, les sauvages jouaient, dans ce Monte-Carlo, tout leur avoir, jusqu’à leurs femmes et leurs enfants. Un

  1. Le castor fut longtemps la fourrure principale du Nord, et tellement caractéristique que son évaluation primitive, le pelu ou plu, est restée l’unité monétaire de ces pays, même depuis l’introduction de notre argent en métal et en papier. Comme la peau de castor s’estimait, à l’origine, une trentaine de sous, trois pelus font environ un dollar (cinq francs). On dira même que la peau du castor se vend aujourd’hui dix ou quinze pelus. Indiens et Blancs ne comptent encore qu’en pelus au Mackenzie, pour toutes transactions. Mais le castor-étalon du commencement est ignoré de beaucoup et oublié de tous.