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LES MANGEURS DE CARIBOUS

La hutte a 27 pieds sur 17, continue Mgr  Clut. La chapelle est assez grande pour contenir un petit autel, le célébrant et deux servants. Lorsque la porte en est ouverte, l’unique salle sert de nef. Cette hutte est éclairée de neuf petites vitres et de deux châssis en parchemin. Une alcôve noire sert de chambre nu missionnaire. L’édifice est fait en pièces de bois superposées et dont les joints sont enduits de boue en guise de mortier. Les murs ont une hauteur de six pieds. Ils sont maintenus entre eux par des sablières informes que je touche de la tête. Aussi ne puis-je porter la mitre que dans les intervalles des soliveaux, ou leur faire de profondes révérences, plus ou moins liturgiques, quand je passe sous eux. Point de plafond. Des perches allant des murs au faîte, et recouvertes d’écorce de sapin et de boue forment la voûte : voûte pour le nom, car l’eau du dégel et des pluies passe entièrement à travers. Mais, me dira-t-on, c’est réellement trop pauvre et trop misérable. Oui, c’est vrai, et cependant j’en suis content, et je serais heureux d’être si bien partout où je passe, en visitant nos petites missions, où le missionnaire ne demeure point à poste fixe.[1]

  1. Toutes les missions du Nord commencèrent par ces maisons-chapelles ; une pièce unique, avec un réduit aménagé pour l’autel et caché par un rideau ou par une porte à deux battants. Le rideau tiré, ou la porte ouverte, toute la salle devient église. Les murs de cette maison-chapelle sont des arbres grossièrement équarris, placés l’un sur l’autre, et enchevêtrés l’un dans l’autre aux extrémités pour former les angles, ce qui a nom d’architecture en tête de chien, dans l’archéologie du Nord. Les interstices des arbres reçoivent des paquets de limon mêlé d’herbe : c’est le bousillage. Le plancher est en rondins de petits sapins contigus. Une couche de terre constitue la toiture. Le foyer à feu ouvert est maçonné de roches.

    Mgr  Clut parle des rapports de sa mitre et des solives. Cette observation nous rappelle un incident fort goûté là-bas, et dont il fit les frais, dans la maison-chapelle du fort Rae, Grand Lac des Esclaves, chapelle qui dépassait en luxe de misère celle du Fond-du-Lac Athabaska. C’était à Noël. Mgr  Clut officiait quasi-pontificalement, comme il disait pour marquer qu’il manquait toujours quelque chose d’essentiel à l’appareil épiscopal. Cette fois encore, il portait la mitre. Au Gloria in excelsis Deo, il fut s’asseoir sur un joli trône, fait du seul meuble convenable que l’on avait pu trouver, et recouvert d’une soyeuse peau de jeune caribou. Les Plats-Côtés-de-Chiens chantaient « comme des orgues vivantes ». La jouissance du spectacle transportait l’évêque parmi les anges du Gloria de Bethléem, lui faisant oublier l’atmosphère compacte d’exhalaisons aiguës de tous ces Indiens tassés autour de lui. Cependant la chaleur de cette étuve grouillante amollissait les chandelles de suif de caribou. S’apercevant que celle du sauvageon porte-bougeoir, accroupi aux pieds du prélat, penchait trop vers Sa Grandeur, le Père Roure s’approcha, et lui dit, avec calme :

    — Attention ! Tâche de ne pas mettre le feu au trône : Monseigneur est assis sur le baril de poudre.

    Mgr  Clut entendit. Vif lui-même comme la poudre, il n’eut pas besoin de la détonation pour bondir. De ce mouvement involontaire, il s’écrasa la mitre contre l’une des « solives » surplombantes.