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LES MONTAGNAIS

afin de couper les arbres renversés par le vent et qui nous ferment le passage. Nous avons à traverser parfois d’immenses forêts dévastées par l’incendie, et, tout à coup, nous nous trouvons en face de barricades infranchissables, formées par fies tas fie bois calcinés, enchevêtrés les uns dans les autres. Alors il nous faut faire un détour, ce qui ne va pas sans peine ni fatigue. Mais, comme le froid est très vif, la marche et le travail se supportent mieux en nous donnant le moyen de nous réchauffer ; et la facilité de nous procurer du bois pour les campements nous est un précieux avantage. Aussi, en avons-nous profité ! Et cependant, plusieurs fois, malgré les feux que nous allumions, je ne pouvais presque fermer l’œil durant la nuit, tant il faisait froid. Je n’ai jamais vu d’hiver plus terrible ! Le thermomètre n’a cessé de marquer 40, 45, 50 et même 54 degrés centigrades au-dessous de zéro. Deux mois auparavant, je me trouvais à Rome ! Cela faisait un contraste assez piquant, et peut-être rendait-il le froid plus sensible.


En 1911, un jeune missionnaire de la Nativité croque, avec ce filial sans-façon, son évêque vénérable :


Mgr Grouard nous arriva, mais en quel accoutrement, grand Dieu ! Un Benoît Labre No 2. Pour moi, Sa Grandeur se complétait. J’avais admiré la majesté du pontife, le jour où il me conférait le diaconat, à l’ordination du scolasticat de Liège. J’avais maintenant, sous les yeux, l’apôtre, le missionnaire qui s’occupe, sans penser déchoir, des choses les plus matérielles, dès lors qu’elles rentrent dans l’ordre de l’utile et du nécessaire. Le gibus surtout se distinguait, entre toutes les pièces de l’habillement épiscopal, tellement que le Père Le Doussal, qui n’est pourtant pas un partisan du luxe de toilette, crut devoir, pour une fois, user d’autorité. Il imposa donc à son supérieur de porter un couvre-chef plus convenable, et notre vicaire apostolique se promenait, le lendemain, avec une sorte de huit-reflets. « D’ailleurs, expliquait-il, quand c’est faisable, je préfère avoir du fourniment propre ; mais allez donc, vous, vous habiller en gentleman pour passer deux ou trois semaines dans un chaland plein de sacs de farine, de bœufs, de vaches, etc… »


Voyons enfin Mgr Grouard en un autre équipage que le traîneau, dans le district de la rivière la Paix, région des chevaux. Il est à cheval sur le « chemin de charrette raboteux, défoncé, traversant maintes rivières, maintes fondrières », où gisent encore les épaves des voitures brisées des missionnaires qui, pendant plus de cinquante ans passèrent par là. C’était l’unique voie pour aller du Petit Lac