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AUX GLACES POLAIRES

rigoureux, lorsqu’ils voyagent, des mortifications que la Providence leur envoie. Elles sont, je puis le dire, bien suffisantes.


Les trouvant soumis à trop de jeûnes inévitables, et voulant leur conserver la vie, Mgr Taché avait porté aux premiers missionnaires du Mackenzie l’interdiction du jeûne ecclésiastique. Le Père Eynard se soumettait ; mais avec quel regret ! Et combien de fois n’implora-t-il pas de son évêque « l’exemption de la dispense ».

Le lecteur comptera les vertus qui fleurissent sur ces simples petites lignes, adressées encore à Mgr Taché :


Je vous demande du papier à dessin, pour faire un chemin de croix d’un demi-pied environ de grandeur. J’ai pensé que ces petits dessins sur de tels sujets seraient propres à ranimer un peu ma ferveur ; vous savez en outre combien un chemin de croix est utile. Si vous craignez cependant que je perde trop de temps à ce travail, vous supprimerez cet article. Je dois vous dire que j’ai appris, pendant deux ans et demi, à dessiner. (Allusion à ses études de Polytechnique.)


Et ce passage d’un compte rendu qu’il dut faire, par obéissance :


… J’allais régulièrement assister le pauvre Cayen (un ancien persécuteur des missionnaires) au fort Résolution. Les autres sauvages que j ? ai exhortés à la mort me paraissaient mourir, ou plutôt voir venir la mort, je dirai avec trop de confiance, à mon avis. Celui-ci s’est montré, au contraire, au commencement, de sa maladie, bien effrayé. Il n’avait certes pas grand’ chose à regretter dans la vie. Sans parents, ne marchant qu’avec des béquilles, depuis plusieurs années, il était réduit l’hiver à une espèce d’immobilité. Cette fois, le mauvais mal lui ôta peu à peu l’usage de ses membres et même de ses doigts. Enfin, une semaine avant sa mort, il me parut se résigner plus résolument. Son corps était devenu comme un cadavre qu’il fallait retourner et remonter à chaque instant, dans son lit, ou, à vrai dire, sur les haillons pourris et puants sur lesquels il reposait. La seule femme sauvagesse qui se trouvait au fort se dégoûta bien vite de pareille besogne, de sorte que toutes les fois que je venais, c’est-à-dire tous les jours (dix kilomètres de marche), je lui rendais ce service peu agréable, mais qui ne me répugnait pas trop, ayant si rarement la bonne aubaine de pouvoir soigner de mes mains les membres souffrants de Notre-Seigneur. Je fus même obligé de lui rendre des services encore plus bas, tellement la vie avait abandonné ce corps.