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LES MONTAGNAIS

hautes distinctions et un grade élevé dans l’administration gouvernementale des eaux et forêts. Absorbé par son application au travail, il avait passé au-dessus des fanges, sans se souiller ; mais son cœur s’était éloigné de Dieu.

Le premier instrument de la grâce fut la servante de son domicile de Longuyon.

Un dimanche qu’il lui avait prescrit de préparer un dîner d’apparat pour ses amis, elle lui répliqua qu’elle n’en ferait rien, attendu que « cette œuvre servile et inutile l’empêcherait d’entendre la messe ». L’ingénieur, frappé, commença à réfléchir. Bientôt il pria. Les Études philosophiques sur le Christianisme d’Auguste Nicolas achevèrent de déblayer le terrain à la lumière divine. Brisant sa brillante carrière mondaine, M. Eynard entra au grand séminaire de Metz, d’où il passa, en 1853, chez les Oblats de Marie Immaculée, afin d’être missionnaire des pauvres. Il fut envoyé, selon son désir, aux missions les plus dures.

En 1858, il arrivait au fort Résolution.

Pendant quinze ans, il desservit toutes les missions du Grand Lac des Esclaves, du fleuve Mackenzie jusqu’au fort Providence, et du lac Athabaska. Lui, le savant, se fit le catéchiste assidu des derniers Indiens. Sans égard pour sa pauvre santé, il franchissait, à cette fin, sur la neige, des distances qui eussent effrayé les coureurs-des-bois.

L’amabilité enjouée envers ses confrères, le dévouement aux petits, l’humilité et la mortification envers lui-même : tel fut le Père Eynard.

Son esprit de pénitence se porta à des austérités que Mgr  Grandin désapprouva :

Le Jeudi saint, le 19 avril 1862, rapportait l’évêque au supérieur général, le Père Eynard nous arriva de voyage. Il avait les oreilles, les joues et le nez gelés. D’où vient qu’en cette saison il se soit gelé ainsi, tandis que, par les plus grands froids, j’ai voyagé sans perdre autre chose que la première peau de mon nez et de ma figure ? La raison, la voici : c’est que le Père Eynard est beaucoup plus mortifié que moi. En voyage d’hiver, il ne faut pas songer à se mortifier, en se privant de nourriture. Pour ma part, je fais trois repas et j’ai dans ma poche un morceau de pâte gelée pour m’en servir en cas de fatigue. C’est ce que le Père Eynard n’a pas osé se permettre pendant la Semaine Sainte. J’en ai été édifié, mais non satisfait, et je vous prie instamment d’obliger vous-même vos enfants à se contenter, dans ce pays