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AUX GLACES POLAIRES

Mais Louis Veuillot disait de son « évêque pouilleux » :


Il prend la vermine comme le reste de son lourd attirail de voyage, puisqu’il n’arrivera qu’à cette condition. Cette vermine’ pourra pulluler sur sa chair ; elle ne rongera pas la joie de son âme, ni les trésors qu’il sait répandre ; il l’entretiendrait avec un soin jaloux, comme une souffrance de plus, s’il pensait que cette souffrance, ajoutée aux autres, attirera la bénédiction de Dieu sur son labeur.


La bénédiction de Dieu tomba sur le labeur de Mgr  Clut, le missionnaire de peine. Sur ses lèvres, comme sur les lèvres de Mgr  Grandin, Louis Veuillot aurait pu mettre :


Voilà un bon feu, nous quittons une bonne table, la soupe était excellente ; elle m’a rappelé la soupe de mon pays de Valence. Que de fois je n’ai pu me défendre de désirer une bonne soupe de mon pays ! Enfin, vous êtes chrétiens, mes amis et mes frères, et votre hospitalité m’est très douce. Toutefois, je voudrais être loin, je voudrais être là-bas, dans mon désert de glace, sous mes couvertures de neige, à jeun depuis la veille, couché entre mes chiens et mes sauvages pouilleux. C’est que je n’ignore pas à quoi ma vie de là-bas est bonne. Dans cette nuit, je porte la lumière ; dans ces glaces, je porte l’amour ; dans cette mort, je porte la vie.


Mgr  Clut porta la vie, la vie surnaturelle ; et c’est à la porter qu’il usa la vie de son corps.

Le premier son de glas retentit à ses oreilles, en 1885, à la mission Notre-Dame de Bonne-Espérance du fort Good-Hope.

Se relevant, il écrit :


Moi qui étais très fort, très robuste, et qui croyais que rien n’était à mon épreuve, je m’en étais peut-être trop donné, durant trente ans de ma vie de missions, de voyages très longs, très pénibles, malgré un mauvais régime alimentaire habituel. Mes forces, à la fin, m’ont manqué. Il y a eu appauvrissement de sang, puis épuisement ; enfin, un œdème dès jambes et des pieds qui vient de me tenir sept mois au lit.


La seconde attaque le terrassa, à Good-Hope encore, où il était retourné, en 1892-1893.

Mgr  Grouard, devenu son supérieur, lui fit entendre qu’il devait dire adieu au Nord polaire, et lui assigna, pour résidence, la mission Saint-Bernard, du Petit Lac des Esclaves, au sud de la rivière la Paix.