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L’ÉVÊQUE DE PEINE

ses deux compagnons : le sauvage Grosse-Tête, qui battait la neige devant les chiens, et le métis Boucher qui trottait à la suite de Grosse-Tête avec un équipage dispos.

Pendant sept jours l’évêque poussa la traîne.

Pousser la traîne consiste à s’arc-bouter continuellement sur les raquettes de course, afin de faire porter la force et le poids du corps sur un bâton, dont une extrémité s’applique sur le creux de l’estomac, et l’autre sur l’arrière du traîneau. Est-il un missionnaire qui n’ait goûté de ce supplice ?

Ce n’est donc pas mes trois coursiers qui me traînaient, dit Mgr Clut, mais moi qui les aidais à traîner leur charge. Malgré ce moyen extrême, je n’arrivais généralement que deux ou trois heures après les autres au rendez-vous du dîner ou au campement de la nuit. J’avais beau fouetter mes chiens, ils étaient comme insensibles. J’employai toutes les industries, tantôt les changeant de place, tantôt en dételant un pour le faire reposer. Toutes ces manœuvres ne m’avançaient à rien et m’exposaient à me geler les mains. J’ai eu l’onglée assez forte pour perdre la peau des doigts. Après maints exercices violents dans la neige molle, où j’enfonçai, malgré mes raquettes, je m’échauffai tellement que mes habits de dessous étaient tout trempés, tandis que ceux de dessus, rendus humides par la transpiration, se gelaient et devenaient roides. Chaque soir, après mon souper, je devais passer un temps considérable à me sécher au feu du campement. Mais, tandis que je rôtissais d’un côté, je gelais de l’autre ; de sorte que, bon gré mal gré, je devais me coucher plus ou moins mouillé. Le froid d’environ 40 à 43 degrés centigrades me saisissait, et ma chemise me faisait l’effet d’une barre de glace. Que l’on juge si je dormais à l’aise !

Les six fois que j’ai campé à la belle étoile, en ce voyage, je n’ai presque pas fermé l’œil ; ces nuits blanches n’étaient pas de nature à réparer mes forces. Il fallait cependant, le lendemain, marcher dans la neige, aider mes chiens, ou m’exposer à rester en arrière dans les bois, où je serais mort. Je ramassais donc toute la force et le courage qui me restaient, et allais de l’avant. Si encore, pour me soutenir, j’avais eu une bonne nourriture ; mais je n’avais que de la viande sèche…

Le 21 décembre, nous rencontrâmes des sentiers tracés dans tous les sens…

Comme de coutume, mes chiens allaient toujours plus doucement que ceux de Boucher. J’étais toujours loin derrière, ce qui me mit plusieurs fois dans un grand embarras, parmi ces sentiers sans ordre… Arrivé à une petite montée, mon doute devint plus sérieux : je vis un lacs tel qu’on en tend pour prendre les lynx, tendu à travers le sentier que je suivais. Mon chien de devant hésita un peu, puis avança et se prit par