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AUX GLACES POLAIRES

sans perdre une année, deux peut-être, prit sur lui de tenter l’évangélisation du Youkon et de l’Alaska. S’adjoignant le Père Lecorre, dont il voulait faire le premier missionnaire de ces territoires, il descendit le fleuve Mackenzie, et, de la pointe Séparation, tête du delta de ce fleuve, il se dirigea, à pied, sur les montagnes Rocheuses, par un portage de 130 kilomètres de marécages et de terrains inconsistants. Dans les replis des montagnes elles-mêmes, il y avait à passer à gué, ce qui veut presque dire à la nage parfois, quantité de torrents et de rivières dévalant des glaciers. Parvenus au versant du Pacifique, ils mirent leur canot de peau d’orignal, qu’ils avaient porté jusque-là, sur la rivière Porc-Épic, affluent tourmenté, autant que pittoresquement beau, du fleuve Youkon.

Ils avaient compté sans la précocité de l’hiver. Le vent du Nord souffla sans répit ; et, en quelques jours, le canot fut roulé par le courant dans la débandade des glaçons. Le Père Lecorre, étant tombé malade peu après le départ du Mackenzie, ne pouvait qu’à peine se mouvoir. Le 30 septembre, comme les voyageurs étaient à mi-chemin des montagnes Rocheuses au fort Youkon, la barrière redoutée des glaces solides entrava la rivière.

Qu’allaient-ils devenir, sans traîneau, presque sans vivres, sans espoir de rencontrer un être humain ? Seule la Providence les pouvait sauver. Elle n’y manqua pas. Le même jour, ils rencontrèrent une famille Loucheuse, arrêtée également par la glacé, dans sa navigation vers le fort Youkon. Ces braves Indiens offrirent aux missionnaires une part de leurs provisions, un traîneau et un de leurs chiens. Sauvages et missionnaires repartirent ensemble, le 6 octobre. Pendant sept jours, Mgr Clut, la hache à la main, fraya le passage aux attelages, tombant de ci de là, parmi les glaçons coupants, défonçant du poids de son corps les couches trop minces, et plongeant coup sur coup dans les mares glacées. Le Père Lecorre, un peu remis, suivait, trébuchant et se relevant sans cesse. Le 13 octobre, au soir, ils arrivèrent au fort Youkon, chez le tout aimable et fervent catholique M. Mercier. Ils acceptèrent avec bonheur de passer l’hiver sous son toit.

Hiver d’amertume pour l’âme des apôtres.