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L’ÉVÊQUE DE PEINE

qui prendrait les devants, et me serait prêtée avec l’équipage et 1111 guide pour aller chercher mon bagage et mes compagnons laissés au Grand Rapide…

Je repartis dans mon canot d’écorce, et j’arrivai au fort Mac-Murray le 24. Un furoncle malin me causait des souffrances presque intolérables et une grosse fièvre accompagnée de violents frissons.

Le lendemain, la barge promise arrive du Portage la Loche. Mais quelle déception ! Le guide est tombé malade et crache le sang, un homme s’est blessé, et les autres se découragent en voyant l’eau trop basse. Je presse, j’exhorte, je supplie. Je parle du dévouement du missionnaire qui a tout sacrifié pour venir leur donner les moyens de se sauver ; je fais voir nos pères du Nord, les sœurs et les orphelines dénués de tout et condamnés à passer l’hiver dans de cruelles privations. C’était comme si j’eusse parlé à des cœurs de bronze. Ce ne fut qu’après cinq ou six heures de prières que je décidai ces gens à monter avec moi. Encore dus-je leur promettre une forte récompense, et « engager » cinq Montagnais et deux Cris, pour que notre grand nombre d’ouvriers fit paraître l’ouvrage moins pénible.

Enfin nous partîmes, et je versai des larmes de joie en pensant que je viendrais à bout de mon entreprise.

Le 1er octobre, nous arrivons au pied du Grand Rapide, où nous laissons notre barge, et nous nous dirigeons à pied vers le camp, où nos pauvres compagnons nous attendaient depuis si longtemps, désespérant de nous revoir. Aussi quel ne fut pas leur bonheur ! Le mien était grand aussi sans doute ; mais non pas sans mélange. Je trouve le Père Roure pâle et défait. Je m’informe s’il souffre de la faim, et il me répond qu’il a été pris d’un refroidissement, en se levant, la nuit, pour aller prendre soin de la pauvre sœur malade, qui dans des accès de délire courait de grands risques. J’entre dans la tente de la malade et la trouve très souffrante. Elle ne s’est pas levée depuis le 7 septembre, jour de notre séparation. Comment supportera-t-elle le voyage et les rigueurs du froid déjà très piquant ? Que lui donner pour la soulager ?

Cependant je n’avais pas de temps à perdre. Nos hommes, voyageurs expérimentés, ont examiné le terrain. Les difficultés sont grandes, mais pas insurmontables. Tous prennent courage. Nous nous mettons à transporter nos pièces et notre barge, que nous traînons au milieu des rochers et de mille embarras. Le lendemain, nous radoubons la barge, que tant de secousses avaient presque disloquée.

Nous avons été obligés de porter la pauvre sœur malade, sur un brancard, dans le portage, jusqu’au bout de l’île. Pauvre fille ! Qu’elle aura à souffrir le long du chemin 1 La rivière, en cette saison surtout, où l’eau est très basse, n’est qu’une suite de rapides et de cascades. Souvent la barque heurte violemment contre les récifs. Alors, les cris et le tapage des rameurs sont