Page:Duchaussois - Aux glaces polaires, Indiens et Esquimaux, 1921.djvu/189

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
176
AUX GLACES POLAIRES


Depuis dix ans que je suis à Athabaska, j’ai vu mon rêve de progrès matériel presque réalisé. La première année, je construisis une maison et une chapelle ; la deuxième, je transformai les marais en champs et jardins ; la troisième, je bâtis une nouvelle église, une nouvelle maison, une cuisine, une étable, une autre maison pour les engagés de la mission ; J’entrepris enfin une grande église, qui, sur cette plage, peut passer pour un véritable monument, et que j’avais terminée après quatre ans de travail.


Mais ces années de voyages, travaux et misères avaient eu raison de la santé du Père Faraud. Lui, si indomptable jadis, le voici réduit à ne plus se soutenir que par la résignation chrétienne. Les peines de l’âme, s’ajoutant aux souffrances du corps, le portent à reprendre le projet, qu’il avait autrefois conçu, de ne s’occuper que de sa propre sanctification dans quelque solitude. Du fort Vermillon, rivière la Paix, 15 mai 1860, il ouvre son âme à Mgr Taché :


Le moment n’est-il pas venu aujourd’hui de dire adieu au Nord ? Ce n’est plus seulement une jambe qui me fait mal (il avait contracté une sciatique dont il devait souffrir toujours) ; mais les deux jambes, les deux bras, la poitrine, les reins et la tête. A planta pedis asque ad verticem capitis, je ne suis plus que rhumatisme. Ces douleurs ont augmenté progressivement, et tendent à s’aggraver davantage.

… Je vous dirai maintenant un secret qui vous expliquera bien des singularités apparentes de ma conduite. Un dégoût universel naquit chez moi, il y a longtemps, pour tout ce qui n’est pas Dieu, et ne tend directement à sa gloire. J’avais pris la résolution de m’enfermer à tout jamais dans un cloître, et de me retirer dans un désert, où je n’aurais qu’à m’entretenir avec Dieu et où il serait le témoin unique de mes actions. Je me préparai par la prière, par le jeûne, par la mortification, à cet acte d’où devait dépendre mon éternité. Or. il arriva qu’un jour, en lisant les psaumes, je fus frappé de ces paroles : zelus domus tuæ comedit me — le zèle de votre maison me dévore —. J’en tirai incontinent la conclusion qu’il serait peut-être plus dans les desseins de Dieu que je consacre les premières années de ma vie religieuse à un ministère public, pour y travailler au salut des autres, et que je me retire plus tard dans un monastère. Ce fut la résolution que je pris dès le moment, me proposant de travailler au salut de mon prochain, sans négliger ma propre perfection. Mais je me connaissais moi-même. Je savais que je n’étais pas homme à faire deux choses à la fois. Jusqu’à mon arrivée à Athabaska, j’avais tenu bon. Mais là, occupé de mille choses antérieures, n’ayant jamais assez de temps pour me recueillir,