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BERCEAU D’ÉVÊQUES

à celle de Job, l’archevêque de Saint-Boniface arrivera, fidèle, auprès de son ami, se prévalant de son titre d’infirmier, acquis à l’Île à la Crosse, pour répandre de nouveau sur chaque plaie ravivée le vin et l’huile de sa charité.

Mais, à l’Île à la Crosse, M. Laflèche ne souffrait que dans son corps. Son âme rayonnait d’une joie paisible, qui imprégnait jusqu’à la remuante gaieté de son confrère. Ni l’un ni l’autre n’eussent échangé leur misère contre les lambris des rois.


Au mois de juillet 1848, une voix vint s’adjoindre à ce concert fraternel et former le « trio bienheureux » : le Père Faraud :

« Le Père Faraud qui nous arrive, plein de jeunesse, de force et de bon vouloir ! »

Le Père Taché « se croit au paradis de voir enfin un Oblat », et M. Laflèche jouit du bonheur mutuel de ses compagnons religieux. Ceux-ci proclament M. Laflèche leur supérieur régulier, et rivalisent d’affection pour l’aimer, comme de dévouement pour le soigner.

Sauf une absence du Père Taché, qui retourna au lac Athabaska, les mois qui allèrent de juillet 1848 au printemps 1849 furent les plus heureux de toute la vie des trois futurs évêques. Plus ils se voyaient pauvres et sevrés du monde, dans leur « baraque », plus les cœurs s’unissaient dans l’indivisible charité. Le service de Dieu et des âmes fini, les prescriptions de la ègle des Oblats observées, c’était le tour « des histoires, des rires et des chansons ». Le refrain revenait, toujours le même :

« Vive le Nord et ses heureux habitants ! »

On le chantait en toutes mesures et démesures, en lavant les écuelles de fer blanc, en rôtissant le poisson à la broche, en croquant la viande sèche, en attisant le foyer ouvert où pétillait la bûche ancestrale. On le chantait de toutes voix : M. Laflèche en virtuose, le Père Taché assez bien, le Père Faraud très mal. Mais tous trois du même cœur chantaient : « Vive le Nord, et ses heureux habitants ! »

Septuagénaires, les trois évêques rechanteront encore, en se revoyant, cet allegro de leur jeunesse ; mais la mélancolie voilera leur accent ; et, lorsque dans leur carrière de